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graffiti, comme on les appelle en Italie, n’étaient pas faits pour venir jusqu’à nous. La destruction de Pompéi nous les a conservés, et c’est un grand bonheur. On ne se doute pas en vérité combien ces gamineries qui garnissent les murailles, quand la police les tolère, pourraient apprendre de choses à la postérité, si elles arrivaient aussi loin. L’étude de ces diverses inscriptions est pleine d’intérêt pour nous. Chacun de ces trois groupes différens nous fait pénétrer d’un degré dans la vie de la petite ville ; chacun nous fait mieux connaître une classe particulière d’habitans. Tandis que les inscriptions monumentales nous introduisent dans le monde officiel, les graffiti nous entretiennent surtout des amours et des colères, des petites gens. C’est avec les unes et les autres que je vais ressayer de connaître Pompéi et ses citoyens.

A la première visite qu’on fait à Pompéi, on est très frappé de voir combien la ville, quoique ruinée, a conservé un aspect riant. Il ne semble pas qu’il y eût beaucoup de pauvres. Peut-être en effet, dans ces pays où existait l’esclavage, la fortune étant moins divisée, chacun en avait-il une meilleure part. En dehors des esclaves, qui ne comptaient pas, il y avait moins de gens qu’aujourd’hui forcés de travailler pour vivre. On avait plus de loisirs et on les passait plus gaîment. Aussi, à voir le nombre des édifices réservés au plaisir, on dirait vraiment que tout le monde ne songeait qu’à se réjouir. Il y avait sans doute des gens graves à Pompéi, mais comme en tout pays ils font moins de bruit que les autres, leur souvenir s’est effacé, et il y a bien peu de chose aujourd’hui qui le rappelle[1]. Au contraire, dans ces rues et dans ces places, tout donne l’idée d’une vie gaie et riante, tout parle de plaisir.

  1. On est pourtant amené à songer à eux quand on regarde ce charmant hémicycle qui se trouve près de l’avenue des tombeaux. C’est là que les gens sérieux de Pompéi, les vieillards surtout, devaient se réunir au déclin du jour, loin du bruit de ces plaisirs, qui n’étaient plus de leur âge, et dont le spectacle impatiente un peu quand on ne peut plus en jouir. C’est un lieu admirable pour y parler de philosophie, j’entends de cette philosophie grecque, comme on la trouve dans Platon, toujours un peu souriante au milieu des pensées les plus graves. Si le voisinage des tombes doit inspirer des réflexions sérieuses, le beau spectacle qui se développe devant les yeux, la mer de Naples et ses merveilles, égaie nécessairement un peu l’esprit et l’empêche de trop incliner vers la tristesse. Ce lieu convient tout à fait à des entretiens comme celui du Traité de la Vieillesse, de Cicéron.