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du voisin, ou tout au plus pour plaisanter en passant d’un édile trop sévère ou d’un duumvir peu généreux. Peuplons ces portiques des élégans de l’endroit, les nobles fils de Pansa ou d’Holconius, qui viennent y faire admirer leur toilette irréprochable, copiée sur celle des Romains à la mode qui visitent Baïes tous les ans pendant la saison des bains. Remplissons ce vaste amphithéâtre de spectateurs empressés et de femmes coquettes qui y sont venues un peu pour voir et beaucoup pour être vues, — spectatum veniunt, veniunt spectentur ut ipsœ. — Supposons que tout ce peuple est réuni pour assister à quelqu’une de ces grandes tueries de bêtes ou d’hommes qu’on aimait tant à Pompéi. Si nous voulons nous figurer les différentes scènes que suivent avec un si vif intérêt tous ces regards curieux, il n’y a rien de plus facile : nous n’avons qu’à jeter les yeux sur les bas-reliefs du tombeau de Scaurus, où elles sont si fidèlement représentées. On y voit des chasseurs qui combattent des tigres avec le manteau et l’épée, comme les toréadors d’aujourd’hui ; on y voit des gladiateurs de toute espèce, mirmillons, thraces ou rétiaires, qui sont aux prises. Tous les accidens de la lutte y sont reproduits : ils s’attaquent et se défendent avec vigueur ; le vaincu lève un doigt en l’air pour implorer la pitié du public, et si le public refuse de lui faire grâce, le vainqueur l’achève. Il nous est aisé de transporter par l’imagination tous ces combats dans l’arène et de les placer sous les yeux des spectateurs. Nous pouvons aussi, pour que rien ne manque à la fête, supposer qu’au milieu de l’émotion générale un des jeunes élégans dont je parlais tout à l’heure, beaucoup plus occupé de quelque jolie femme assise à ses côtés que du spectacle, profite de l’occasion pour faire connaissance avec elle. Les choses se passaient souvent ainsi à Rome, c’est Ovide qui nous l’apprend. « Il arrive, nous dit-il, que celui qui venait regarder les blessures des autres se sent lui-même blessé. Tandis qu’il cause avec sa voisine, que pour frôler sa main il lui demande le programme[1], tandis qu’il cherche à engager quelque pari avec elle, le trait de l’amour pénètre dans son cœur. Il pensait n’être que le spectateur du combat, il en devient aussi la victime. » Ces vers charmans d’Ovide reviennent à la mémoire quand on visite l’amphithéâtre de Pompéi, et on imagine sans peine que des scènes pareilles se sont passées bien des fois sur ces gradins aujourd’hui ruinés. — On le voit, les monumens de Pompéi s’animent rien que par le souvenir de ceux de Rome, auxquels ils ressemblent, et quand on se rappelle les récits des historiens ou les vers des poètes, on

  1. Cicéron parle aussi de ces programmes du spectacle, gladiatorum libelli, qu’on vendait à ceux qui allaient y assister. — Phil., II, 38.