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avec toi. Toi seule adoucis mes regrets d’avoir quitté la ville maîtresse ; seule, tu suffis à la faire revivre tout entière pour moi ! »

Si les belles manières du Capitole et du Palatin se retrouvaient au fond de l’Espagne, si l’on étudiait la rhétorique à Thulé, si d’un bout du monde à l’autre on reproduisait fidèlement les usages et les modes, la façon de parler et de vivre de Rome, il est clair que la question que nous nous sommes posée devient plus facile à résoudre. Nous cherchons à connaître la vie de province dans le premier siècle de l’empire : puisqu’on tâchait partout de copier Rome, nous n’avons qu’à réduire la vie romaine à des proportions plus humbles, et nous saurons de quelle façon on passait le temps dans les provinces.

La visite qu’on fait à Pompéi confirme entièrement cette opinion, et l’imitation des usages de Rome s’y retrouve à chaque pas. C’était pourtant une ville ancienne et qui avait changé bien des fois avant d’en venir à l’état où nous la voyons. Elle était Osque d’origine, le voisinage de Naples l’avait rendue à moitié grecque, Sylla en avait fait une colonie romaine ; mais la trace de ces changemens est bien peu visible aujourd’hui. L’osque ne se montre que dans quelques inscriptions ; le souvenir de la Grèce n’est rappelé que par l’exquise délicatesse des sculptures et des tableaux. Au contraire Rome est vivante partout : cette dernière influence a recouvert et presque effacé toutes les autres. Il n’y a pas lieu d’en être fort surpris. Lorsqu’on sait que dans les petites bourgades de la Bretagne il y avait des portiques comme au champ de Mars, quand les inscriptions nous montrent que les habitans d’un village inconnu de la Germanie avaient voulu avoir un Vatican, on ne s’étonne pas de voir qu’on tînt à reproduire le forum et le Capitole dans une ville de Campanie.

Pompéi, c’est donc Rome en petit ; la vie à Pompéi devait être la vie romaine en miniature. Quand nous n’aurions que les débris de ces monumens ruinés qu’on y découvre, sans rien qui nous les expliquât et nous en apprît l’usage, il nous serait facile de le deviner en songeant à ceux de Rome. Nous savons ce qu’on allait faire à l’amphithéâtre Flavien, dans les thermes de Titus, sous les portiques de Livius ou d’Octavie. Pour rendre la vie à Pompéi, pour ranimer ces rues et ces places désertes, il nous suffit d’y transporter par l’imagination les scènes dont celles de Rome étaient le théâtre ordinaire. Par exemple, dans ce forum étroit, mais charmant, centre et cœur de la cité, plaçons quelques flâneurs de petite ville, qui s’y rassemblent le soir, non pas pour s’entretenir des affaires publiques, médire des puissans du jour ou raconter les bruits qui viennent de chez les Germains et les Parthes, mais pour rire des mésaventures