Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/567

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

proconsuls que l’empereur et le sénat envoyaient gouverner les provinces. Ces personnages, étaient toujours des gens du meilleur monde, chevaliers ou sénateurs, habitués à fréquenter le palais de César, et qui apportaient tous les ans comme un air de Rome dans ces contrées éloignées ; ils étaient souvent accompagnés par leurs femmes, ils avaient toujours avec eux des fils de grandes familles qui venaient s’instruire aux affaires par leur exemple, et des affranchis qui leur servaient de secrétaires. C’était une sorte de cour sur laquelle se réglait la bonne société des villes où ils résidaient. À ce contact journalier des marchands, des soldats et des gouverneurs, les provinces étaient devenues romaines. Tacite dit qu’on y lisait avec soin les journaux de Rome pour se tenir au courant des moindres aventures qui se passaient au sénat ou sur le forum ; on y répétait les bons mots contre les maîtres du moment, on voulait y savoir les belles phrases et les pensées brillantes des orateurs en renom. Les ouvrages nouveaux des auteurs à la mode se lisaient partout. Les libraires de Lyon réclamaient les derniers plaidoyers de Pline, ceux de Vienne vendaient les épigrammes de Martial, et ce poète nous dit avec orgueil qu’on chantait ses vers partout où s’étendait la domination romaine. Même chez les peuples peu connus, mal soumis, Rome pénétrait par ses arts et sa littérature autant que par ses armes. « La Gaule, dit Juvénal, a fait l’éducation des avocats bretons, et l’on dit que Thulé songe à se procurer un professeur public d’éloquence. » Juvénal veut plaisanter, mais il n’exagère pas autant qu’il croit. La Bretagne était une des dernières conquêtes de l’empire et en apparence une des moins solides ; on sait pourtant quels déchiremens elle éprouva quand il lui fallut s’en séparer au moment des invasions. Il est donc probable que ces provinces éloignées, ces pays perdus ménageaient plus d’une surprise au Romain qui les visitait, : il devait être fort étonné de ne pas s’y sentir trop dépaysé, il y retrouvait même quelquefois ce qu’on a le plus de peine à transporter d’un pays à l’autre, cette élégance dans les manières, cette finesse dans le langage, ce tour particulier dans les railleries, enfin toutes ces qualités délicates que les Romains comprenaient sous le nom d’urbanité, parce, qu’ils les croyaient attachées au séjour de la grande ville. Quand Martial arriva à Bilbilis, dans le cœur de l’Espagne, il se croyait dans un pays de sauvages et gémissait d’y être venu. Quelle ne fut pas sa surprise d’y trouver une véritable Romaine ! Les éloges qu’il donne à Marcella, même en faisant la part de la politesse, montrent que l’urbanité avait pénétré jusqu’à Bilbilis. « Prononce un seul mot, lui disait-il, et le Palatin croira que tu lui appartiens. Aucune des femmes qui sont nées dans Suburra ou qui habitent les pentes du Capitole ne pourrait lutter