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insultés. Leur vie fut plus d’une fois menacée. Une nuit enfin, un gros de paysans conduit par des chefs pélagiens se jeta sur le grand couvent de Bethléem. Les serviteurs et les moines firent bonne contenance ; on se battit, et du côté de Jérôme un diacre fut tué. Tandis qu’on attaquait le monastère des hommes, une autre troupe courait à celui des femmes, armée de piques et de torches. Les portes furent enfoncées, des brandons lancés de toutes parts, et le sac commença. Plus d’une des saintes filles, réveillées en sursaut, tomba aux mains de ces forcenés. Eustochium et Paula, avec une énergie plus que virile, ralliant à leur suite leurs tremblantes compagnes, à demi nues comme elles, se firent jour dans la campagne, à travers la flamme et les armes, sous la protection de leurs serviteurs. Elles gagnèrent de là la tour de défense bâtie par Jérôme, ainsi que nous l’avons dit, à une extrémité de son monastère, et qui, destinée à fournir un refuge contre les courses des brigands arabes, servait maintenant de rempart contre des chrétiens et des moines. Le clergé de Jérôme, arrivé en bon ordre et à temps, couvrit heureusement la retraite des femmes. Beaucoup de sang fut répandu, et les monastères, pillés et incendiés, n’auraient bientôt présenté qu’un monceau de cendres, si les habitans de Bethléem, attirés par le bruit, n’avaient éteint le feu et dispersé à coups de bâton et d’épée les assassins chargés de butin. Il fallut du temps pour que les bâtimens pussent être réparés, et en attendant moines et vierges s’installèrent comme ils purent soit dans la ville, soit sur les décombres de leurs cellules.

Ces infortunés, dénués de tout, demandèrent à Jean de Jérusalem vengeance et protection spirituelle, au gouverneur de Césarée protection matérielle et châtiment des coupables. Jean répondit qu’attribuer ce désordre aux moines de son église c’était une calomnie, et quelques-uns des frères de Jérôme, ayant protesté, furent jetés en prison. Lui-même, vieux et malade, supporta ce nouvel assaut sans broncher. Il y fait allusion en ces termes dans son commentaire de Jérémie, qu’il composait alors : « quoique Ananie ? fils d’Asar, s’oppose à Jérémie, que Sémeïas fasse mettre le prophète aux fers et que le prêtre Sophonie soutienne le mensonge des faux prophètes, tout ce qu’ils peuvent faire, c’est d’enchaîner les prédicateurs de la vérité ; mais la vérité elle-même, ils ne la vaincront pas ! » Eustochium et Paula, avec beaucoup de fermeté, adressèrent leurs plaintes au pape Innocent, se gardant de charger personne en particulier et s’exprimant sur l’évêque Jean de la façon la plus réservée. Leurs lettres, auxquelles Jérôme en joignit une, passèrent à Borne par l’intermédiaire de l’évêque Aurélius de Carthage, et Innocent se servit de la même voie pour y répondre, ce qui