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dans le chef-d’œuvre de Bossuet. Au bout de l’année, Augustin engagea son élève à se rendre en Palestine pour y conférer avec Jérôme, « qui savait, disait-il, tout ce qu’ils ignoraient, » et il lui remit pour le solitaire une lettre à la fois tendre et modeste destinée à dissiper les derniers nuages de leurs anciennes dissensions, s’il en survivait encore. L’Espagnol apportait avec lui un catalogue de questions de toute nature sur lesquelles Augustin voulait consulter l’oracle : une d’elles concernait la nature de l’âme d’après les dogmes chrétiens. Orose fut reçu à bras ouverts dans le couvent de Bethléem et traité par Jérôme moins comme un hôte que comme un fils.

Par une prédestination singulière, Orose arrivait en Palestine au milieu des mêmes querelles théologiques qu’il venait de quitter en Afrique : nul mieux que lui ne pouvait donc renseigner Jérôme sur la vraie doctrine de Pélage et sur le jugement qu’on en portait au-delà des mers, car l’évêque d’Hippone, à la sollicitation des églises-africaines, avait pris en main la réfutation de ce sectaire et de ses adhérens. Orose fit connaître à Jérôme les actes du concile de Carthage, où Pélage avait été condamné dans la personne de son lieutenant Célestius ; il lui fit connaître aussi les moyens d’attaque d’Augustin, soit dans ses sermons, soit dans les livres que celui-ci commençait à publier. La lutte prenait dans les conceptions du docteur philosophe un caractère qui l’agrandissait. Ce n’était pas tout, selon lui, de mettre une hérésie philosophique en contradiction avec la Bible et l’église, il fallait en saisir le vice au sein même de la philosophie et l’étouffer dans son berceau. Jérôme comprit sa pensée ; il comprit aussi qu’Augustin se trouvant là sur son terrain, on devait l’en laisser souverainement maître : il déclara en conséquence qu’il se retirait de la lice, et que, pour le bien de la cause, il déposait ses armes aux pieds d’un pareil champion. Les vives instances de ses amis, en particulier celles d’Orose, purent à peine le décider à terminer ses dialogues ; ensuite il n’écrivit plus. Cependant sa lettre à Ctésiphon figura toujours parmi les pièces principales du procès. « Jérôme, écrivait un contemporain, l’évêque espagnol Idace, dans sa chronique, Jérôme, prêt à s’éteindre, retrouva assez de force pour saisir le marteau de la vérité, et de ce marteau il brisa la secte pélagienne et son auteur. » Rendus à eux-mêmes, Augustin et Jérôme semblaient heureux de s’apprécier mutuellement à leur valeur et de se le dire sans réticence. L’évêque d’Hippone s’exprimait ainsi dans sa lettre : « Il faudrait être bien malheureux pour ne pas écouter avec obéissance et respect un homme tel que toi et ne pas rendre grâce de la gloire de tes travaux au Seigneur Dieu qui t’a fait ce que tu es. Si mon lot est d’apprendre de qui que ce soit ce que je ne dois pas ignorer, plutôt que d’enseigner aux autres ce que je sais, combien n’est-il pas juste que je demande cet office de charité à toi,