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de la ville qui peuvent rester ou sortir à volonté. Ce n’est pas un domicile qu’on exige maintenant de lui, c’est l’esclavage, c’est la prison pour le mieux dépouiller. » A cette énergique défense de Pinianus, il ajoutait ses propres griefs. — « Lui, Alypius, évêque, avait été outragé, menacé, presque frappé dans l’église, sous les yeux de l’évêque son ami, et c’étaient des prêtres de cet évêque, c’étaient les dignitaires de sa maison, c’étaient ses moines qui se faisaient les instigateurs de violences telles qu’on avait pu craindre un meurtre, » et il demandait compte à Augustin du silence qu’il avait gardé devant ces infamies, silence qui encourageait les malfaiteurs.

Alypius s’arrêtait là, il n’accusait l’évêque que de faiblesse ; Albine, avec l’emportement d’une femme, l’accusa de complicité. Elle lui écrivit de Tagaste une lettre que nous ne connaissons que par la réponse d’Augustin, et où elle qualifiait la conduite des prêtres et des moines d’Hippone comme celle de voleurs de grand chemin qui guettent un étranger sur la route ou l’attirent dans un piège pour le piller. « Ce qu’on veut dans ton église, lui disait-elle avec hardiesse, ce n’est pas un prêtre, c’est de l’argent. On enlève un mari à sa femme, un fils à sa mère, et on le retient en otage jusqu’à ce que dans une nouvelle occasion et par de nouveaux sévices on lui arrache la dernière concession ; puis on le relâchera quand on aura distribué ses dépouilles. » — « L’habitation de ta ville, disait-elle encore, n’est point pour Pinianus un domicile de cité : c’est un exil, une relégation, un lieu de déportation. Et l’évêque, qu’a-t-il fait pour empêcher une violation aussi sacrilège de la liberté dans son sanctuaire ? A-t-il protesté ? Non. A-t-il essayé de couvrir de sa protection épiscopale et de l’autorité de son caractère l’hôte qui était venu de loin pour l’admirer et l’aimer ? Non. Il l’a livré à ses persécuteurs ; il n’a pas rougi de garantir lui-même le pacte de sa servitude. » Cette mère offensée ne recula pas devant une imputation plus cruelle, et l’évêque eut à défendre vis-à-vis d’elle son désintéressement et sa probité.

Les réponses d’Augustin (nous les avons encore) dénotent un manifeste embarras. Le rigide philosophe s’abstient de parler des circonstances qui caractérisaient l’engagement de Pinianus pour se retrancher dans le fort inexpugnable de la morale absolue. Il n’admet aucune atténuation, aucune exception dans le serment. — Lorsqu’on a fait une promesse, il faut la tenir : violer son serment est un crime, vouloir l’interpréter un autre crime, et soutenir que Pinianus était ignorant de ce qu’il promettait, c’est mal justifier un manquement de foi. La proposition venait de lui ; il avait discuté, corrigé, signé la formule d’engagement : que demanderait-on ; de plus pour établir un devoir de conscience ? Alypius, de son côté, supposait à