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ordonner Pinianus, nous avons ici d’autres évêques qui l’ordonneront, car le peuple le veut. — Jamais, répliquait Augustin avec force, je ne souffrirai qu’un évêque étranger fasse dans mon église une ordination à laquelle je n’aurais pas consenti. » Pendant que cette discussion se passait autour du siège épiscopal, d’autres groupes avaient enveloppé Pinianus, Mélanie et l’évêque Alypius, leur ami. Là, l’attitude était plus effrayante encore : on menaçait Alypius de le tuer, comme voulant confisquer cette proie au profit de Tagaste, on injuriait grossièrement Pinianus, on lui faisait entendre qu’il courait les plus grands dangers, s’il ne s’engageait par serment à ne point quitter Hippone. Mélanie, exaltée par l’indignation, soutenait le courage de son mari ; cependant Pinianus faiblit. Parmi ceux qui le pressaient le plus vivement de consentir, on remarquait un moine nommé Timasius, du couvent d’Augustin, et des ecclésiastiques élevés en grade dans son église, entre autres le prêtre Barnabé, prévôt de la maison épiscopale. Augustin, qui voyait de loin cette scène, put craindre pour la vie de ses botes, car sous le feu des passions africaines, et avec cette brutale population d’Hippone, tout attentat devenait possible. Il descendit précipitamment de son siège, et courait leur porter secours, quand le moine Timasius, porteur d’une prétendue proposition de Pinianus, écrite à l’instant même, l’arrêta au passage. Par cette proposition, le Romain s’engageait à fixer son domicile à Hippone, sauf le cas de nécessité ; à cette condition, à cette autre encore qu’il n’accepterait le sacerdoce nulle part ailleurs, il demandait qu’on ne le forçât point d’être prêtre.

Augustin prit les tablettes des mains de Timasius et remonta sur son siège pour examiner ce qu’elles contenaient, puis il fit signe à ses amis d’approcher, afin de discuter ensemble la proposition ; mais le courageux Alypius s’y refusa absolument, disant qu’il ne voulait pas tremper dans de telles violences, même par un conseil. Augustin trouva que l’exception du cas de nécessité ne serait pas admise par le peuple : elle était trop générale, trop vague, disait-il, et pourrait ressembler à une réserve calculée pour éluder l’obligation du domicile. Quelqu’un émit l’idée qu’on spécifiât le cas de guerre et celui de maladie contagieuse. Ici Mélanie, tout irritée qu’elle était, s’écria par un élan sublime : « Je repousse cette réserve qui serait une lâcheté ; si la peste éclatait dans cette ville, notre devoir serait d’y rester. » On écarta donc la clause de contagion ; quant au cas de guerre, Augustin expliqua qu’il était inutile de le prévoir, attendu que, s’il y avait guerre, tout le monde partirait, et qu’Hippone n’ayant plus d’habitans, Pinianus ne serait plus forcé d’y demeurer. A mesure que la discussion se prolongeait, on ajoutait ou on effaçait sur les tablettes, et enfin la promesse se trouva