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Césars, et comment, dans sa colère contre les deux époux, la vieille millénaire, secouant la poudre de ses pieds, était retournée à Jérusalem. Ruffin son ami mourut peu de temps après en Sicile, où il fut enterré. « Le scorpion dort sous l’Etna entre Encelade et Porphyre, » disait à ce propos Jérôme, qui garda toujours sa rancune contre cet ami, devenu un si cruel ennemi. Demeurés seuls en Afrique, Albine et ses enfans allèrent se fixer à Tagaste, près de l’évêque Alypius, qu’ils avaient connu en Italie. Là, Pinianus et sa femme, nourrissant un mutuel amour sous un lien fraternel, menaient en commun une vie charitable et pieuse, heureux de n’avoir qu’un cœur, qu’un intérêt sur la terre, qu’une pensée au ciel. Le sage Alypius, qui désapprouvait au fond de son âme le rigorisme outré de l’aïeule, s’abstenait d’alarmer en rien la quiétude des deux époux et son pays n’y perdit rien. Mélanie la jeune, à qui Tagaste avait su plaire, s’y répandit en libéralités sur les pauvres, sur le clergé, sur les couvens : elle bâtit un monastère pour quatre-vingts moines et un autre pour cent vingt vierges, et la basilique resplendissait des riches ornemens dont elle et son mari la dotaient chaque jour. Ils vivaient là depuis quelques mois sans avoir encore reçu la visite d’Augustin, que retenaient à Hippone des affaires importantes ; ils résolurent donc de l’aller chercher eux-mêmes. Pinianus et Mélanie partirent sous la conduite d’Alypius ; Albine, probablement malade, ne quitta point Tagaste. Arrivés à Hippone, ils s’installèrent dans une maison où, suivant toute apparence, Alypius avait coutume de descendre, et bientôt entre les deux époux et Augustin la connaissance fut complète. Rien n’était plus édifiant que la manière de vivre de ces étrangers au sein de la petite ville de pêcheurs et de grossiers matelots dont Augustin était le pasteur. Suivant leur habitude, ils faisaient beaucoup de bien autour d’eux, et quand ils n’étaient pas aux côtés de leur nouvel ami, dans l’admiration de sa parole entraînante et sublime, on les trouvait à la basilique. Cette douce piété faillit pourtant leur coûter cher ; elle inspira à des esprits cupides l’idée d’un complot sans nom, dont la réussite eût été la fin de leur bonheur.

La simonie, ainsi qu’on l’a vu plus d’une fois dans le cours de nos récits, était alors la plaie de l’église ; tout s’y achetait, tout s’y vendait : la papauté s’enlevait à prix d’argent, quand on ne l’arrachait pas par les armes ; plus d’un épiscopat fut mis à l’encan, et les grades inférieurs du sacerdoce donnaient lieu aux mêmes calculs de corruption. Électeurs et élus n’avaient d’ailleurs rien à se reprocher ; les pratiques simoniaques étaient mutuelles, et le peuple les exerçait avec non moins d’âpreté que les candidats ambitieux. L’usage voulant que les personnes agrégées à un corps ecclésiastique soit comme évêques, soit comme simples prêtres, fissent don de