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école deux choses qui avaient préparé l’éducation et les mœurs du barreau de la restauration et de 1830, la tribune et la presse, et par la force des événemens ses regards ont dû s’abaisser sur les horizons plus restreints des débats d’intérêt privé ; mais dans cette sphère même le barreau de Paris ne franchira jamais certaines limites. Le jour où pour lui « finirait l’art et commencerait l’industrie, » il aurait cessé d’être ; or il ne saurait périr. Grâce à Dieu, l’art n’est pas perdu ; de grands maîtres sont encore là qui remplissent, on peut le dire, vaillamment leur mission ; ils ont lutté avec courage, en attendant les secours de la tribune et de la presse, pour les libertés en péril. Le barreau n’est donc point sans enseignement ; il n’est point non plus sans garanties contre l’affaiblissement qu’on redoute, et ces garanties, il les trouvera toujours dans les vigoureux ressorts de son autonomie, dont les mystérieuses origines se confondent avec celles de la société elle-même, dans ces puissantes règles de discipline que Liouville s’est efforcé de mettre en relief, et qui sont tout à la fois pour l’avocat les traditions de l’honneur et l’honneur de ses traditions.

Quel est en dernière analyse le contingent de ces diverses publications ? Malgré les aperçus nouveaux qu’elles nous fournissent, elles laissent attendre des travaux plus complets sur le barreau de Paris, soit dans le passé, soit dans le présent. Parmi ces livres, celui qui touche de plus près à l’époque actuelle nous fait assez bien connaître Dupin, Marie, Paillet, Bethmont ; mais c’est trop peu d’esquisser seulement les profils de Berryer, Odilon-Barrot et Jules Favre. Quelques autres physionomies, MM. Hébert, Dufaure, Senard, Léon Duval, Plocque, Desmarest, exigeaient aussi un trait particulier. A un autre point de vue, une histoire générale du barreau est encore à faire : elle devrait envisager non-seulement le barreau de Paris, mais celui de toute la France, dans son œuvre sérieuse et forte, dans sa mission sociale mesurée à la hauteur des nécessités publiques. Une fois portée à ces sommets, l’étude du barreau ne serait plus même une étude particulière à la France, elle franchirait rapidement les frontières, elle préparerait entre les barreaux de tous les points de l’Europe une sorte de solidarité fondée sur un besoin qu’éprouvent tous les peuples, celui de la justice. La première idée de cette confraternité internationale s’est assez nettement dégagée du banquet de Londres. Elle contribuerait à répandre dans les pays si nombreux encore où règne l’arbitraire ce profond sentiment du droit de la défense, qui peut enfanter des miracles et a réellement quelque chose de divin, puisque partout où il pénètre il lui est donné, malgré les chaînes et les bourreaux, de triompher de l’injustice et de la force.

jules le berquier.

V. DE MARS.