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paroles de Delamalle, qui en avait fait une question d’ordre public. « Une lettre, disait-il dans sa plaidoirie, est sous la protection de la société entière. Où fuir, où chercher un asile, si l’on ne peut plus confier ses intérêts, ses pensées, ses chagrins, ses douleurs dans des lettres, sans craindre de fournir des titres à l’adversaire, des preuves à l’accusateur, des armes à l’ennemi qui pourra s’en emparer ? » Et le parlement donna raison à Delamalle. Ces paroles, prononcées en 1789, eurent assez de retentissement pour que l’assemblée constituante presque aussitôt mît le secret des lettres au rang des premières garanties de l’ordre social.

Mais à son tour le barreau n’aurait-il pas à formuler des vœux et à solliciter la révision de plus d’un arrêt de cette cour dans l’intérêt de son indépendance ? De tout temps, il a réclamé le droit de composer son tableau et de se régler lui-même. Si on lui demande la raison de cette prérogative, il répond qu’il n’est point une corporation, qu’il est un ordre, qu’il remplit une mission sociale, et que, pour la remplir utilement, il doit à la société une garantie sans laquelle toutes les autres seraient illusoires. Or cette garantie, il l’a placée dans l’honneur de la profession : être instruit ou éloquent ne suffit point à qui veut porter la robe. En premier lieu, l’avocat doit être intègre, et à cet endroit l’ordre a des susceptibilités et des scrupules dont il a la prétention de rester seul juge. En conséquence, pas d’appel quand une demande d’admission au tableau a été rejetée. A ceux qui eussent trouvé cela étrange, M. Dupin s’était chargé de le faire comprendre dans un de ses réquisitoires les plus sensés. Des postulans écartés par un conseil de discipline s’étaient adressés à la cour du ressort. Cette cour avait-elle le droit d’imposer au barreau une confraternité repoussée ? Non, répondit M. Dupin : la loi veille sur les corporations ; c’est au barreau de veiller sur lui, parce qu’il relève non de la loi, mais de lui-même. A l’exemple des parlemens, la cour de cassation reconnut en effet que l’ordre des avocats est maître de son tableau. C’était en 1850. A dix années de là, le savant procureur-général est réfuté par un des membres de son parquet ; la cour revient sur ses pas ; les arrêts de 1850 sont entamés par ceux de 1860, et les droits séculaires du barreau sont remis en question.

Cependant, M. Dupin avait raison de le dire, c’est grâce à son autonomie que le barreau s’est maintenu et a rempli sa mission en traversant tous les gouvernemens et tous les régimes. M. Pinard a vanté sa fermeté sous le premier empire ; à cette époque, que fût-il devenu sans ses vigoureuses traditions ? Des deux cent deux avocats qui composaient le tableau de Paris, trois seulement avaient voté pour cette forme de gouvernement. Ce fut même un spectacle assez curieux que la réserve de ces quelques hommes au milieu d’une sorte d’enivrement presque général. Que voulaient-ils donc ? Regrettaient-ils la royauté ou la révolution ? L’écrivain a posé la question sans pouvoir la résoudre. Peut-être ne regrettaient-ils ni l’une ni l’autre. Il était facile de voir, par le consulat, que l’empire ne marchait guère vers la liberté. Or, sans la liberté, que devient la parole dans les tribunaux ou