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dont le germe devait être étouffé subitement. A quoi bon cette complication inutile de juges et de jurés quand il n’existait à ce tribunal qu’un seul délit, celui de haute trahison, et qu’une peine, la mort ? Il fallait que le tribunal, au lieu de retarder la marche de la révolution par des lenteurs criminelles, fût actif comme le crime, et finît tout procès en vingt-quatre heures. » En effet, jusque-là le tribunal révolutionnaire avait entendu des témoins, des défenseurs ; il y avait eu non-seulement des lenteurs, mais des acquittemens. Là était le mal : il fallait donc au plus vite débarrasser la justice de ces formes gênantes et importunes. Couthon présenta un projet ; de décret à la convention, et demanda la suppression de la défense. Que disait-il pour justifier cette mesure ? En donnant des défenseurs au tyran détrôné, et à ses complices, c’est-à-dire à tous les conspirateurs, on avait ébranlé la république. « Le tribunal institué pour les punir retentissait de blasphèmes contre la révolution et de déclamations perfides, dont le but était de lui faire le procès en présence du peuple. Pouvait-on attendre autre chose d’hommes voués par état à la défense des ennemis de la patrie ? La défense naturelle et les amis nécessaires des patriotes accusés, ce sont les jurés patriotes ; les conspirateurs ne doivent en trouver aucune. » Et le décret du 14 juin 1794 fit comme le voulait Couthon ; il interdit la défense et donna aux accusés des jurés patriotes. Par là furent simplifiées les fonctions du tribunal : chaque jour, il recevait du comité de salut public, marquée à l’encre rouge, la liste de ceux que Robespierre et ses complices désignaient à l’échafaud. Jusqu’où alla cette justice révolutionnaire ? On ne saurait le croire, si à son tour cette justice n’avait pas été jugée par la sentence rendue contre Fouquier-Tinville ; mais cette sentence précise les faits et il n’est plus permis de douter de l’indifférence bestiale de ces juges, pris au hasard, qui composèrent ce hideux tribunal ; les accusés arrivaient à l’audience sans connaître l’accusation ; toute défense était interdite ; parfois les feuilles d’audience, signées en blanc, étaient remplies par le greffier à l’aventure, de telle sorte que non-seulement des accusés furent jugés sans témoins et sans pièces, mais des individus furent exécutés pour d’autres, ou sans qu’il existât contre eux de jugement. Un des chefs de la sentence suffit à expliquer tous les autres : les membres du tribunal révolutionnaire sont convaincus notamment « d’avoir fait préparer des charrettes dès le matin et longtemps avant la traduction des accusés à l’audience. » La réorganisation de ce tribunal eut lieu en l’an III sur le rapport de Merlin ; le barreau fut rappelé à l’audience, et depuis cette époque aucun accusé n’a comparu en justice sans être défendu ; les avocats ont repris leur mission, non sans y être troublés parfois, mais au moins sans interruption nouvelle.

Aujourd’hui, dans l’exercice de son ministère, le barreau a libre accès devant tous les tribunaux, et, par une dernière mesure, les conseils de préfecture lui ont été officiellement ouverts. La défense est donc en possession de ses franchises, et la société peut compter sur de sérieuses garanties