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est nettement arrêté : en quelques traits, il le fait saisir à l’assemblée, qui le charge de le formuler en loi. N’a-t-on pas dit que la constitution était son œuvre ? S’il ne l’a point faite, il était homme à la faire, car, au moment où se dressaient les cahiers, il déposait dans ses Lettres aux Normands le germe de la plupart des lois qui sont émanées de l’assemblée constituante. Et ce que nous disons de Thouret, on peut le dire sans aucune exagération de Merlin, de Treilhard, de Bergasse, de plusieurs autres avocats dont les noms sont attachés aux plus notables actes de la révolution. Il y eut des orateurs plus ardens, plus fougueux dans les chocs violens des passions du moment ; il ne s’en trouva guère de plus instruits, de plus fermes, d’un jugement plus sûr, d’une parole plus nette dans les débats de l’assemblée.

Cette partie de l’histoire du barreau n’a point encore été approfondie ; tout ce qui touche au rôle de l’avocat sous la révolution est resté obscur, et ce n’est pas sans peine, nous voulons le croire, que M. Gaudry est parvenu à répandre quelque lumière sur l’attitude du barreau devant les tribunaux de cette époque. L’ordre des avocats, il est vrai, confondu avec les corporations, avait été supprimé comme elles ; mais le barreau subsistait parce qu’il tient à l’individu, à la société, ainsi qu’on l’a observé, et qu’il fait partie des garanties auxquelles tous deux ont droit de prétendre. Durant la tourmente, que devint donc la défense des intérêts privés et des personnes ? On ne saurait donner le titre d’avocats à ces hommes qui vinrent s’abattre sur la profession devenue libre, mais on doit le conserver à ceux qui, au milieu des événemens, ne cessèrent d’en remplir les devoirs avec dignité. L’heure était difficile. : l’ordre étant détruit, le barreau ne formait plus cette phalange compacte, serrée par les liens d’une puissante discipline qui le fortifie et le relève. C’est à ce moment que les avocats qui avaient porté cette robe dont il n’était plus permis de se couvrir, et qui étaient restés fidèles à leur profession, allaient être appelés devant les tribunaux criminels à la défense des accusés, mission nouvelle pour eux et qui ne fut jamais plus périlleuse.

Le barreau de cette époque a-t-il failli à son devoir ? Non-seulement rien ne permet de le supposer, mais il est des faits irrécusables qui le justifient et témoignent du courage de sa parole. Ainsi Chauveau-Lagarde fut emprisonné à la suite de la défense de Marie-Antoinette. Mis en liberté en vertu d’un décret spécial de la convention, il fut arrêté de nouveau et ne dut la vie, comme tant d’autres, qu’aux événemens de thermidor ; mais son acte d’accusation subsiste, et on y lit ces mots : « il est temps que le défenseur de la Capet porte sa tête sur le même échafaud. » C’est assez dire que la défense de l’infortunée reine n’avait point manqué d’énergie. En outre, le barreau a excité alors des haines dont il est juste de lui tenir compte. Le tribunal révolutionnaire fonctionnait, mais pas au gré de ses créateurs : il marchait beaucoup trop lentement. Robespierre s’en plaignit au club des jacobins ; il lui reprochait « d’avoir suivi les formes avocatoires et de s’être entouré de chicanes pour juger des crimes