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tage difficile entre la société, qui réclamait ses droits, et les classes privilégiées, groupées autour de la royauté, qui en avaient retenu la plus grande partie. Il s’agissait, pour le barreau, de rester avec la société et de veiller sur la manière dont serait réglé son compte. C’est l’attitude qu’avait prise le barreau anglais en semblable occurrence, et il s’en est fort bien trouvé, car en se tenant à son poste il a puissamment servi au triomphe des libertés publiques, ce qui n’est pas pour peu dans la juste sympathie que lui témoignent les masses. Si nous ne nous trompons, c’est là et non ailleurs qu’il convient de rechercher l’œuvre du barreau à l’assemblée constituante. Ce n’est pas toutefois que l’avocat ait à la rigueur un rôle exceptionnel à remplir dans les assemblées politiques : simple représentant de l’agrégation, à ce titre il n’a, comme les autres, que son mandat ; mais là comme ailleurs on a le droit d’exiger qu’il se rappelle néanmoins sa profession, pour en conserver avec fermeté et scrupule les aspirations libérales.

Dans cette grande révision de la machine politique et sociale, le barreau fut-il à la hauteur de ses devoirs ? A certains égards, les appréciations de l’auteur du Barreau au dix-neuvième siècle pourront paraître bien sévères. Il s’est demandé quel était à l’exception de Barnave, qui avait plaidé à peine, l’avocat dont la parole à l’assemblée constituante avait eu l’éclatante autorité à laquelle les révolutions obéissent quelquefois. « Le barreau, dit-il encore, rend l’esprit indécis : c’est un de ses écueils ; à force de trop voir, l’avocat voit mal ; à force de se promener sur tous les sujets, il ne se fixe sur aucun ; sa vue se trouble. La science le gêne plus qu’elle ne le sert ; il perd en sûreté ce qu’il gagne en pénétration ; il ne saisit que les objections, les solutions le fuient. Le juge en cela diffère de l’avocat ; moins brillant, moins savant, il a, en ce qui touche la raison de décider, l’intelligence plus sûre. » Sans discuter longuement de tels reproches, nous nous bornerons à demander à notre tour si dans ces avocats délégués par les communes à l’assemblée constituante il faut voir l’esprit mobile et indécis dénoncé en ces termes. Ont-ils manqué de vigueur et de souffle quand il s’agit de renverser l’ancienne société et d’en faire sortir une nouvelle de ses ruines ? N’ont-ils été dans cette œuvre que « des hommes habiles, spirituels et distingués ? » Nous ne parlons point des membres de l’assemblée constituante pour qui le titre d’avocat ne répondait à aucune habitude professionnelle et qui n’avaient pas vécu au barreau ; il ne peut être ici question que de ceux qui étaient passés de plain-pied du palais à l’assemblée. Or ceux-là ont largement compté dans les travaux de cette époque : ils ne furent point de stériles démolisseurs ; ils s’empressèrent de reconstruire l’édifice, et il est permis d’affirmer qu’il n’eut pas de plus laborieux architectes. Il était aisé d’en trouver le type dans celui qui dominait en effet leur groupe et fut même porté à la présidence de l’assemblée. Dans l’organisation administrative, dans l’organisation judiciaire du pays, sur toutes les questions qui s’agitent alors, qui n’a pas admiré la parole de Thouret ? Il est là, toujours prêt, son plan