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est spirituelle avec un certain air de hardiesse ; elle a donc beaucoup réussi auprès de la partie la plus ardente de l’auditoire, tandis qu’elle causait à plus d’un assistant un embarras visible. Tel est le malheur de la situation que les événemens nous ont faite ; le besoin de la liberté est si légitime et si vif qu’il éclate partout où il peut, au risque même de compromettre les droits de la vérité impartiale et de la science désintéressée. Ceux qui ne partagent pas l’opinion de Montaigne seraient aujourd’hui fort empêchés de la combattre, tant on a mêlé l’histoire romaine à l’histoire de France et tiré de cette comparaison impossible des conclusions inacceptables. Des voix sérieuses ont protesté souvent contre cette confusion des époques ; puisque nous sommes ici dans le pur domaine des lettres, pourquoi ne dirions-nous pas une bonne fois qu’on peut apprécier librement et César et Pompée, et toute la révolution romaine, sans être suspect d’approuver le césarisme ? Parmi les hommes qui ont eu « le sentiment malade aux affaires romaines, » il y a des esprits d’élite, et quelques-uns d’entre eux brillent au premier rang de la tradition libérale : c’est Dante, c’est Shakspeare, c’est Voltaire, c’est M. Guizot, c’est M. Michelet, dont l’Histoire romaine vient d’être réimprimée si à propos, avec des rectifications fort piquantes il est vrai, mais qui ne touchent pas au fond des choses. Quand M. Guizot, dans sa chaire de la faculté des lettres, il y a quarante ans, montrait la supériorité de l’administration impériale sur les proconsulats de l’aristocratie, quand M. Michelet, il y a trente-cinq ans, appelait César « l’homme de l’humanité, » ils obéissaient à l’amour désintéressé du vrai. Par quelle ironie de la destinée de tels hommes se trouvent-ils enveloppés aujourd’hui dans la catégorie des malades ? Voilà les embûches de la politique : les écrivains d’un vif et généreux esprit comme M. Prevost-Paradol y sont plus exposés que d’autres, lorsque le sentiment de la tradition ne les avertit pas du danger. Il arrive ainsi quelquefois qu’un trait lancé contre des adversaires atteint celui-là même qu’on est chargé de louer. Certes M. Ampère n’avait pas plus de sympathie que nous pour le caractère de Jules César, il ne croyait pas que le génie le plus merveilleusement doué pût dispenser de l’honnête ; l’ambition, la ruse, l’hypocrisie, les cruautés froides du conquérant des Gaules n’étaient pas rachetées à ses yeux par la destruction des vieilles tyrannies aristocratiques et l’établissement de cette grande unité qui devait frayer la voie au christianisme, il le jugeait, en un mot, comme vient de le juger M. Rosseeuw Saint-Hilaire dans un livre où Ja conscience chrétienne inspire les arrêts de l’historien. Croit-on pour cela qu’il eût de bien vives sympathies pour Pompée ? Il savait les choses de trop près pour se laisser prendre à ces thèses de collège. Qu’on relise les dernières pages sorties de sa plume, celles qui ont été publiées ici même il y a deux ans, on verra s’il était dupe des prétentions de l’aristocratie romaine. Croit-on même qu’il ait tant ménagé Cicéron ? Je ne pense pas que l’orateur romain fasse nulle part aussi triste figure que dans son drame de César. Lisez dans la quatrième partie