Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/516

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous le nom de critique avec un esprit de système qui étouffe le mouvement de la vie, il le faisait au nom du spiritualisme avec le respect du genre humain, et qu’il étudiât le midi ou le nord, qu’il interrogeât les ruines de Thèbes ou les institutions de l’avenir dans la libre Amérique, c’était toujours une philosophie salubre qui résultait de ses enquêtes. À côté de cette philosophie sans prétention, ne sentez-vous pas aussi dans l’ardeur qui l’emporte une poésie sans effort, non pas la poésie écrite assurément, non pas la poésie consacrée par des chants immortels, mais ce souffle créateur qui explique les entreprises généreuses ? Il ne suffit pas de rappeler ses juvéniles essais, drames, poèmes, tragédies ; il ne suffit pas de dire que cette poésie des premières heures, toujours cachée, quoique toujours présente, rappelle ces ruisseaux souterrains dont l’action se révèle par la fraîcheur qu’ils répandent et la verdure qu’ils entretiennent. C’est une autre poésie que celle-là, la poésie de la curiosité enthousiaste, qu’il fallait montrer chez Ampère. À l’époque où M. Sainte-Beuve employait cette image du ruisseau souterrain dans une étude insérée ici même et dont M. Prevost-Paradol s’est souvenu, Ampère venait de publier les deux premiers volumes de son Histoire littéraire de la France avant le douzième siècle. La vraie physionomie de l’écrivain ne s’était pas encore dévoilée tout entière, et déjà le critique sagace avait noté chez lui l’inspiration secrète ; ne convenait-il pas, dans l’éloge prononcé à l’Académie, de mettre cette inspiration en pleine lumière après que tant de travaux, d’investigations, de conquêtes, ont révélé à tous la muse de sa vie ?

Nous avons entendu reprocher à M. Prevost-Paradol le silence qu’il a gardé sur les principaux ouvrages de son prédécesseur. Ce reproche n’a rien de sérieux. Un éloge académique n’est pas une biographie, une peinture n’est pas une notice. Que le récipiendaire n’ait rappelé ni l’Histoire littéraire de la France avant le douzième siècle, ni l’Histoire de la formation de la langue française, ni même, dans un autre ordre d’idées, la belle contemplation philosophique inscrite sous le nom d’Uranie, qu’il ait oublié de comparer la critique d’Ampère à la critique moins modeste et moins féconde dont on a fait tant de bruit en ces derniers temps, c’étaient là des matières trop spéciales peut-être ou trop délicates pour convenir à la circonstance. Ce qu’on pourrait reprocher au jeune orateur, c’est de n’avoir point dégagé le trait essentiel de ce rare esprit, l’activité encyclopédique animée par une philosophie libérale et un souffle de poésie généreuse. Le portrait dessiné par M. Prevost-Paradol est élégant et correct ; au fond, l’esprit intérieur éclate-t-il sur ce visage ? Ceux qui ont suivi Ampère en ses courses conquérantes sauraient-ils bien le reconnaître ?

Après ces pages consacrées aux premiers travaux d’Ampère, M. Prevost-Paradol arrive à l’Histoire romaine à Rome, et, s’attaquant « aux systèmes à la mode, » il cite la phrase de Montaigne parlant de Dion Cassius : « il a le sentiment si malade aux affaires romaines qu’il ose soutenir la cause de Jules César contre Pompée et celle d’Antoine contre Cicéron. » La citation