Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fut reçu par M. Hugo, il y eut là un triple contraste dont on se souvient encore. Ce fut de l’harmonie au contraire, harmonie de nuances et de demi-teintes, quand trois critiques plus ou moins associés au même journal figurèrent dans ce même cadre académique, M. Saint-Marc Girardin recevant M. Nisard et tous les deux ayant à mettre en relief le profil discret de M. de Féletz. On pourrait multiplier ces exemples et classer par catégories les réceptions mémorables ; ce serait tout un chapitre d’histoire littéraire, un chapitre qui perdrait beaucoup avec les années, mais qui pour les contemporains, à distance raisonnable, éveillerait de piquantes réflexions. Dans la récente journée de l’Académie française, les convenances et les contrastes étaient mélangés dans une parfaite mesure. Un esprit riche, flexible, épanoui en tout sens, un chercheur de rives inconnues, M. Ampère, devait être loué à la fois par un des glorieux vétérans de la rénovation intellectuelle de notre âge et par le plus jeune de ceux qui continuent ce mouvement. Trois générations en présence, Ici un vieillard illustre, là un jeune écrivain déjà célèbre, au fond de la toile la vive et souriante figure de M. Ampère, telle était la composition du tableau. Les contrastes, on les devine sans peine, contrastes d’âge et de situation ; les convenances, c’est un libéralisme puisé aux mêmes sources, nourri des mêmes principes, surtout un même spiritualisme élevé, sincère, généreux, si bien que l’ancien ministre conservateur, le polémiste acéré de la cause parlementaire, l’ingénieux et ardent promoteur de la science des littératures comparées, appartiennent tous les trois à une seule famille.

Est-ce donc cette convenance de sentimens et d’idées relevée par d’agréables contrastes, est-ce le désir d’entendre louer M. Ampère par des voix dignes de lui qui attirait à l’Institut une foule avide et frémissante ? On est bien obligé de reconnaître que l’attrait littéraire de la séance ne venait ici qu’en second ordre, ou plutôt, à parler franc, qui donc songeait à l’académicien disparu ? Un petit nombre d’amis silencieusement fidèles. Quant à ceux qui se pressaient aux portes et applaudissaient d’avance, est-il besoin de dire ce qu’ils cherchaient dans la salle ? Un seul visage, le héros du jour, le jeune auteur de tant de pages ingénieuses et hardies où revit la liberté des mœurs parlementaires. M. Prevost-Paradol a tenu avec éclat l’une des premières places dans la littérature militante de nos jours. On voulait le voir de près, ce combattant à fine lame, on voulait entendre le sifflement du trait décoché par ses lèvres, on lui demandait un discours à double sens, et on lui pardonnait d’oublier un peu M. Ampère à la condition de ne pas oublier ses propres amis. Lui cependant, homme d’esprit alitant qu’homme d’action, il avait bien senti que continuer à l’Académie ses succès de publiciste, c’était justifier les reproches de ses adversaires ou de ses envieux.

Pour déconcerter d’avance les tactiques ennemies, M. Prevost-Paradol avait résolu d’écrire un discours uniquement littéraire, c’est-à-dire de vivre pendant quelques mois avec son devancier et de s’attacher à