Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/507

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est honorable ; mais, pour ce qui concerne la production du blé, nous ne pouvons nous empêcher de la regarder comme chimérique. Lorsque, sur l’excitation des hauts prix amenés par une mauvaise récolte, un pays peut, les années suivantes, augmenter la production du blé de 15 ou 20 millions d’hectolitres, lorsque ce pays accroît d’un septième en dix ans le sol consacré à la culture des céréales, il peut être tranquille sur son indépendance au point de vue alimentaire : le monde entier le bloquerait sans réussir à l’affamer. Est-il vraiment sage, pour conjurer un péril si imaginaire, de se condamner à lui payer en quelque sorte un tribut perpétuel sous forme de droits de douane et de restrictions commerciales ? Faut-il, pour proportionner et équilibrer ces droits, s’imposer la tâche de supputer arbitrairement, à travers une confusion et des complications inévitables, les prix de revient si variables de la production ? faut-il se plonger dans l’enchevêtrement du système protecteur ? Du moment qu’une forme du travail est protégée, il faut les protéger toutes : elles sont unies par une solidarité impérieuse, et avec la prétention surhumaine de faire à chacun la part égale, on ne peut aboutir qu’à une anarchie d’erreurs et d’injustices. Puis, pour ce qui concerne le blé, l’allégation de sollicitude patriotique est dominée par une considération suprême d’humanité. Nous ne comprenons point que, lorsqu’on a une fois en sa vie assisté à la calamité d’une disette, on puisse s’exposer au danger de compromettre par de petits artifices douaniers la subsistance d’un peuple le jour où l’on aurait à se plaindre non plus de l’incommodité de l’abondance, mais du désastre de la rareté, contre lequel il n’y a d’autre protection que l’observation constante des lois simples et naturelles qui régissent les libres mouvemens du commerce.

Parmi les discours intéressans et remarquables qu’a inspirés la question agricole, il y aurait injustice à ne point mentionner les observations claires, sensées, franches, de M. de Benoist, — la réponse de M. de Forcade La Roquette à M. Pouyer-Quertier, à la fois substantielle et lucide et soutenue du meilleur ton de la discussion parlementaire, et l’éloquente réplique à M. Thiers par laquelle M. Rouher a terminé ce grand débat. L’enquête sur l’état de l’agriculture annoncée par le discours impérial a eu ainsi à la chambre une très solennelle et très digne préface. A nos yeux, les orateurs qui ont eu raison sont ceux qui n’ont point cherché les causes des souffrances de l’agriculture dans le défaut d’un minime degré de protection ; l’agriculture présente des griefs mieux fondés lorsqu’elle se plaint de l’insuffisance des bras, lorsqu’elle gémit de voir des capitaux trop considérables employés avec trop de précipitation aux stériles travaux de l’embellissement des villes, lorsqu’elle proteste contre les octrois, lorsqu’elle réclame l’exécution rapide des voies de communication économiques. Par plusieurs de ces points, les doléances agricoles touchent à la politique ; c’est ce qu’ont fait justement sentir deux orateurs de l’opposition, MM. Magnin et Picard ; c’est pour ce motif que nous eussions préféré, comme eux, l’enquête parlementaire à l’enquête administrative. M. Picard a indiqué avec son