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reconnaîtras qu’il est souvent plus facile de censurer les écrits des autres que d’appuyer les siens sur de bonnes raisons. »

Effectivement Augustin condamnait saint Pierre non pour avoir judaïsé, car il en avait le droit et presque le devoir d’après la théorie de l’évêque d’Hippone, mais pour avoir entraîné par l’autorité de son exemple dans une observance judaïque des fidèles incirconcis à qui de telles observances étaient défendues, et cela méritait, à son avis, la réprimande mentionnée dans l’épître aux Galates. « Ah ! répliquait Jérôme, si Pierre eût voulu répondre, quelle réprimande plus dure encore il aurait pu adresser à Paul qui avait circoncis son disciple Timothée, gentil, fils de gentil, qui avait accompli devant ses deux disciples Priscille et Aquilas, dans le port de Cenkhrée, le vœu mystérieux des Nazaréens, qui enfin dans Jérusalem avait soumis ses disciples aux purifications du temple et aux rites légaux des sacrifices ! Il n’y avait pas là seulement exhortation par l’exemple, il y avait obligation directe imposée à des incirconcis.

« Souffrez, grand apôtre, ajoutait-il dans une sorte de prosopopée, vous qui accusiez Pierre de dissimulation et qui le blâmiez de s’être séparé des gentils de peur de blesser les Juifs appartenant à l’église de Jacques, souffrez que je vous demande pourquoi, convaincu que vous étiez de l’inutilité de la loi, vous avez circoncis Timothée, qui n’était point Juif de naissance ! — C’était, me direz-vous, à cause des Juifs qui se trouvaient dans ces contrées. — Mais si la crainte de les scandaliser vous a porté à circoncire votre disciple qui avait quitté les gentils pour croire en Jésus, ne trouvez pas mauvais que Pierre, votre chef et votre ancien, en ait usé de même pour ne point blesser les circoncis qui avaient embrassé la foi.

« Souffrez encore que je vous demande pourquoi vous aviez fait le vœu de laisser croître vos cheveux, et pourquoi vous les fîtes ensuite couper à Cenkhrée, comme la loi de Moïse l’ordonnait aux Nazaréens consacrés, pourquoi vous vous êtes fait une religion d’aller nu-pieds, pourquoi, dans l’intention de montrer aux Juifs que vous n’aviez point renié la loi, vous avez pris avec vous quatre hommes liés par un vœu, et vous les avez conduits se purifier au temple, leur faisant raser la tête, vous purifiant avec eux et payant de vos deniers les frais de la cérémonie. — Je l’ai fait, me répondrez-vous, de peur de scandaliser nos frères sortis du judaïsme. — Oui, ainsi que vous l’avez écrit vous-même, vous avez feint d’être Juif pour gagner les Juifs, et vous n’en avez usé de la sorte que par le conseil de Jacques et des prêtres de sa communauté. Vous aviez raison, et cependant ces précautions ne vous ont point sauvé. Elles n’ont point empêché qu’une sédition ne s’élevât contre vous, et