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guérir ; pour moi, si je reçois tes corrections avec docilité, elles me guériront sans me causer de douleur… J’accepte toutes tes comparaisons, et puisque tu veux que je voie en toi un bœuf, mais un bœuf qui travaille avec un admirable succès à fouler la paille et le grain dans l’aire du Seigneur, et, quoique chargé d’années, conserve toute la vigueur de la jeunesse, me voici étendu par terre, ramasse tes forces et foule-moi, je supporterai avec plaisir le poids que te donne ton âge, pourvu que la faute dont je suis coupable se brise sous ton pied comme un fétu de paille. »

Tout ceci était humble et touchant, mais une maladresse d’Augustin faillit rendre à la plaie calmée son exaspération première. Dans une lettre consacrée au sujet délicat des traductions hébraïques, il crut faire ressortir les inconvéniens de l’œuvre en citant une historiette, vraie ou supposée, qui avait couru l’Afrique et l’Italie, et dont les ennemis de Jérôme s’étaient déjà servis pour le tourmenter. Il s’agissait d’un évêque africain, grand partisan des traductions d’après l’hébreu, et qui, mettant de côté la Vulgate italique calquée sur les Septante, avait adopté pour le besoin de son église les versions de l’Ancien Testament faites à Bethléem. Un jour qu’il avait à lire devant son troupeau la prophétie de Jonas, il prit, conformément à ses préférences, la traduction de Jérôme. La lecture alla bien jusqu’au chapitre quatrième, où, Jonas cherchant un refuge contre le soleil dans la campagne de Ninive, Dieu fait sortir de terre un arbuste pour abriter son prophète. Quel était cet arbuste ? La Vulgate disait une courge (cucurbita) d’après les Septante, la traduction de Jérôme un lierre (hedera). L’évêque lut donc un lierre ; mais à peine ce mot eut-il été prononcé, que l’assistance se leva en criant : « Non, non, ce n’était pas un lierre, c’était une courge ! » L’évêque répondit qu’il fallait bien que l’hébreu portât un lierre, puisque Jérôme l’avait mis ; mais le bruit ne fit que s’accroître, et les Grecs qui se trouvaient là invoquèrent avec arrogance l’autorité des Septante. On s’interpellait, on répliquait de l’évêque au peuple et du peuple à l’évêque. Celui-ci, pour mettre fin au scandale, annonça qu’il consulterait des Juifs (il y en avait bon nombre dans la ville) ; mais les Juifs consultés, soit ignorance, soit malice et désir de jouer pièce aux chrétiens, déclarèrent que l’hébreu portait courge, comme le grec des Septante. Là-dessus l’évêque confondu voulait donner sa démission ; de plus mûres réflexions l’en dissuadèrent. Telle était cette petite histoire, inventée peut-être pour ridiculiser les travaux dans lesquels Jérôme consumait sa vie. Augustin, la prenant au sérieux, concluait qu’il fallait laisser les choses en l’état où elles étaient, de peur de jeter de nouvelles obscurités dans les textes sacrés et de nouvelles discordes dans les églises, et à ce propos il