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dans le deuil est un entretien importun. » Si l’écrit est vraiment de toi, mande-le-moi clairement et envoie m’en une copie, afin que nous disputions sans rancœur sur l’Écriture, apprenant à corriger mutuellement nos erreurs ou à nous prouver l’un à l’autre qu’elles n’existent pas.

« Quant aux livres de ta béatitude sur lesquels tu voudrais mon jugement, à Dieu ne plaise que je me mêle de les censurer ! Content de défendre mes ouvrages, je m’abstiens de critiquer ceux des autres. Au reste, ta prudence sait trop bien que chaque homme abonde dans son sens et qu’il y a jactance puérile à imiter la jeunesse d’autrefois, qui cherchait à se faire un nom en accusant les hommes célèbres. Je ne suis pas non plus assez sot pour me chagriner des dissidences qui peuvent exister entre tes opinions et les miennes, parce que je sais que ce n’est pas non plus t’offenser que d’avoir un autre sentiment que toi ; mais veux-tu que je te dise en quoi nos amis ont vraiment le droit de nous reprendre ? C’est lorsque, n’apercevant pas la besace que nous portons sur le dos, nous nous mettons à rire de celle des autres.

« Une chose me reste à te demander, c’est que tu aimes un homme qui t’aime, et que, jeune, tu ne viennes pas provoquer un vieillard sur le champ de bataille des Écritures. Nous aussi nous avons eu notre temps ; nous avons couru dans la lice tant que nos forces nous l’ont permis, et maintenant que c’est ton tour de courir, et que tu as franchi de longs espaces au-delà de nous, nous réclamons de toi le repos. Et pour que tu ne sois pas le seul à invoquer contre moi les fables des poètes, rappelle-toi Darès et Entelle ; songe aussi au proverbe qui dit : « Lorsque le bœuf est las, il appuie plus fortement le pied. » Je dicte ces lignes avec tristesse ; plût à Dieu que j’eusse le bonheur de t’embrasser et de nous entretenir ensemble, afin d’entendre l’un de l’autre et de nous enseigner fraternellement ce que nous ignorons !

« Souviens-toi de moi, saint et vénérable pape, et vois combien je t’aime, moi qui, provoqué, n’ai pas voulu te répondre et ne me résigne pas encore à t’attribuer ce que je blâmerais dans un autre. »

Darès et Entelle étaient deux athlètes, héros de l’Énéide, l’un jeune et présomptueux, l’autre vieux, mais plein de vigueur, et le plus jeune, ayant excité l’autre à la lutte par des provocations imprudentes, finit par s’en trouver mal. L’allusion était claire et valait assurément celle de Stésichore. Jérôme dicta cette lettre tandis que le sous-diacre Astérius attendait à la porte de son ermitage : ce fut le premier et presque le dernier éclat de sa colère.

Augustin reçut le choc et courba la tête : Darès sentait le coup de ceste du vieil Entelle. Il se mit en mesure d’envoyer les copies réclamées et écrivit de nouveau, abordant timidement les