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lettre, développée en forme de traité, et dans laquelle il abordait accessoirement deux autres points de discussion : en premier lieu, le point toujours délicat des traductions hébraïques qu’Augustin blâmait ; en second lieu, celui de ses propres livres sur lesquels le silence du solitaire l’inquiétait. Composée avec une grande puissance d’argumentation et de déduction logique, cette lettre était un modèle du style nerveux d’Augustin ; toutefois on pouvait y reprendre des rudesses de langage qui la déparaient. Le prêtre y semblait parfois oublier qu’il avait des convenances respectueuses à garder vis-à-vis d’un autre prêtre son ancien, et l’homme encore jeune, qu’il s’adressait à un vieillard chargé de gloire et de travaux.

Cette lettre écrite de Rome, Augustin la remit à un prêtre africain, nommé Profuturus, qui allait partir pour la terre-sainte ; mais au moment de s’embarquer Profuturus, apprenant qu’il venait d’être élu évêque par le peuple de Cirtha en Numidie, changea de navire ou de direction, et courut prendre possession de son siège, où il mourut quelques mois après. Augustin, à son tour, se vit appelé bientôt à l’épiscopat par le peuple et le clergé d’Hippone. Au milieu de ces péripéties, sa lettre à Jérôme fut oubliée, ou plutôt, tombée en des mains infidèles, colportée, copiée, altérée peut-être, elle se trouva bientôt à Rome, en Italie, en Dalmatie, partout en un mot, excepté chez l’homme à qui elle était destinée. La vivacité des accusations qu’elle contenait surprit tout le monde, et donna lieu à des interprétations très diverses. Les amis de Jérôme furent consternés ; ses ennemis triomphèrent en voyant se rallier à eux (quelques-uns le pensèrent du moins) la naissante gloire de l’Occident : les uns et les autres attendirent avec anxiété la réponse.

Effectivement Augustin, absorbé par des soins nouveaux, ne s’était plus occupé de son envoi, et il avait pu croire que Profuturus, avant de mourir, avait fait choix d’un autre intermédiaire ; il ignorait même, à ce qu’il paraît, que sa lettre circulât subrepticement en Italie, lorsqu’il reçut la visite d’un diacre arrivé de Bethléem et porteur d’un billet de Jérôme. Le billet renfermait une chaude recommandation pour ce diacre, que certaines affaires conduisaient en Afrique, et des félicitations implicites pour le nouvel évêque, dont la promotion, connue en Orient par le bruit public, avait réjoui les solitaires de Bethléem. De la dispute de saint Pierre et de saint Paul, des traductions hébraïques, en un mot des questions soulevées par la missive d’Augustin, il ne disait mot : évidemment la lettre n’était pas parvenue à sa destination.

Le billet était ainsi conçu :

« Jérôme au seigneur vraiment saint et très heureux pape Augustin, en Jésus-Christ, salut.