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autres. L’apparente querelle d’Antioche n’avait donc point été une révolte du subordonné contre son chef, encore moins un acte effronté de Paul, comme osait la qualifier Porphyre : c’était tout au contraire un acte de conduite prudente, exigé par les nécessités de l’église. Le silence des Actes des apôtres démontrait d’ailleurs que le fait en lui-même n’avait rien eu dans ces circonstances ni d’anormal ni de grave. »

Origène développait cette thèse à l’aide de son immense savoir, et non-seulement il y consacra un ouvrage particulier, mais il la traita de nouveau dans le quatrième livre de ses Stromates. Elle fut adoptée par les plus illustres docteurs de l’Orient : Didyme l’enseigna dans l’école d’Alexandrie, Apollinaris à Laodicée, Eusèbe à Émèse, d’autres encore en d’autres lieux. Jean Chrysostome enfin, nourri des souvenirs traditionnels de l’église d’Antioche et lui-même la plus haute personnification de cette église, reprit l’interprétation d’Origène pour y jeter de nouvelles lumières. Jérôme l’emprunta à ces docteurs illustres, et, fort d’une autorité si considérable à ses yeux, il l’exposa dans son commentaire de l’épître aux Galates, sans négliger toutefois de citer les sources où il l’avait puisée.


III

A la lecture de l’écrit de Jérôme, Augustin se montra vivement choqué : du point de vue philosophique où il aimait à se placer, il trouva le système condamnable. Dégageant le fait d’Antioche des circonstances historiques qui lui donnaient son vrai caractère, il ne voulut voir dans l’interprétation donnée qu’une question de morale abstraite. Saint Paul, dans son épître, avait présenté la dispute comme réelle, et sa réprimande publique à Pierre comme véritable : prétendre que l’une et l’autre étaient concertées entre les deux apôtres et qu’il y avait eu simulation, c’était d’abord infirmer le témoignage de Paul, qui disait le contraire ; puis c’était introduire le mensonge dans les Écritures. Or le mensonge, même officieux, même imaginé dans un intérêt louable, est un crime ; vouloir l’appuyer du témoignage des livres saints est presque un sacrilège. D’ailleurs les livres saints, dictés par Dieu même, doivent être toujours pris à la lettre ; leur prêter des sens détournés sous le prétexte d’en rechercher l’esprit, c’est altérer leur caractère divin, ouvrir la porte au doute des croyans et aux attaques des incrédules.

Tel fut le jugement d’Augustin, et il déclara l’auteur du commentaire coupable d’avoir prêché le mensonge officieux sous l’autorité des Écritures. Ce jugement chez lui fut si sincère qu’il résolut d’avertir sur-le-champ Jérôme du danger de sa doctrine, et de l’engager à la rétracter. Il lui écrivit à cet effet une longue