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remonter au texte original pur, à la vérité hébraïque, comme il disait. C’était pour saisir cette vérité plus près de sa source qu’il s’était confiné en Orient, au milieu des populations juives et syriennes, dans un monastère où les discussions de texte et la collation des manuscrits remplissaient une notable partie de la vie. Les controverses avec les Juifs étant, en Orient, un des points délicats de la catéchèse chrétienne, il fallait se présenter au combat fort comme eux et muni de leurs propres armes : en Occident, où ces nécessités n’existaient pas, on discutait sur des traductions. Or celle des Septante était reconnue par les docteurs orientaux insuffisante et inexacte ; de ses faux sens ou de ses erreurs manifestes étaient sorties au premier siècle de notre ère bien des hérésies funestes à l’église et qu’une meilleure interprétation eût prévenues ou dissipées. Des explications de ce genre entraient dans l’enseignement des églises grecques, où l’on comparait à la traduction des Septante celles de Théodotion et d’Aquila, reproduites dans les Hexaples d’Origène. L’ambition de Jérôme, sa vocation chrétienne, comme il la concevait, fut d’initier l’Occident à ce besoin d’une foi éclairée, et de donner à la langue latine un reflet de cette vérité hébraïque dans laquelle il voyait l’émanation de la parole même de Dieu. Beaucoup d’Occidentaux au contraire (et Augustin parmi eux) se demandaient à quoi bon ces travaux, destinés à ruiner une traduction généralement admise, et craignaient qu’en déroutant les habitudes, on ne finît par égarer les croyances. Ceci pouvait être le côté pratique de la question : celui de la vérité valait mieux.

Tels furent les points de vue opposés que ces deux grands docteurs apportèrent dans l’intelligence du christianisme, et que nous retrouverons tout à l’heure dans leur controverse sur une question déterminée. Jérôme et Augustin ne s’étaient jamais vus ; ils ne se connaissaient que par quelques-uns de leurs livres et par les conversations d’Alypius, l’ami de cœur d’Augustin, et, comme on l’a vu, l’hôte du couvent de Jérôme pendant l’année 393. Leur correspondance s’était bornée jusqu’alors à quelques lettres de civilité et à des recommandations pour des pèlerins en voyage ; mais ils étaient disposés à s’aimer, et le vieil athlète de Bethléem, prêt à quitter le ceste, se plaisait à voir dans le converti d’Ambroise plutôt un successeur qu’un rival. Rien de plus ne s’était mêlé à ces relations, lorsqu’en 395 un ouvrage de Jérôme tomba sous la main d’Augustin, le Commentaire sur l’épître de saint Paul aux Galates composé par le solitaire, à la demande de quelques amis, au commencement de son séjour en Palestine. L’épître aux Galates est célèbre par un récit qu’elle contient, celui d’une scène passée devant l’église d’Antioche, et dans laquelle saint Paul aurait adressé une réprimande publique à saint Pierre, qui avait abandonné la