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du tout-puissant barbare le poison d’une accusation capitale. Heureusement pour le solitaire, l’Orient se trouvait alors en scission politique avec l’Occident ; puis les jours de Stilicon étaient comptés.

Les grands travaux étaient pour la journée, la correspondance pour la nuit, car Jérôme dormait à peine. Cette correspondance considérable forme pour ceux qui s’occupent de l’histoire du temps la partie la plus précieuse de ses ouvrages. On voit s’y refléter, comme dans un miroir, l’état des esprits, des études, des mœurs dans les différentes régions de l’Occident, principalement chez les femmes. On peut y suivre aussi presque pas à pas les progrès de l’empire vers sa ruine. Nous choisirons pour les signaler au lecteur les lettres qu’il écrivit à cette époque à des dames gauloises, entre autres aux matrones Hebidia, Algasia et Artemia.

Hébidie était Armoricaine, et sa famille, issue de souche sacerdotale druidique, présentait une de ces conditions bizarres que la conquête avait créées parmi les sujets de Rome et qui différaient de province à province. Celle-ci était attachée héréditairement au service du temple de Bélen, dans la cité des Baïocasses, aujourd’hui Bayeux. Bélen était dans la religion des Gaulois le dieu du jour, de la médecine et des beaux-arts, comme Phœbus-Apollon dans celle des Romains et des Grecs ; aussi les formules du culte officiel gallo-romain attribuaient à cette divinité le double nom d’Apollon-Bélen, que nous lisons encore aujourd’hui dans plusieurs inscriptions votives. Ses prêtres avaient fait de même, et dans la famille d’Hébidie les hommes prenaient tantôt le surnom de Patera, qui désignait en langue gauloise leur emploi de gardiens du sanctuaire de Bélen[1], tantôt les surnoms latins de Phœbicius et de Delphidius, qui rappelaient leur consécration romaine au dieu Apollon. Chez eux comme chez les prêtres grecs de Phœbus, la culture de la poésie et des arts, et probablement aussi celle de la médecine, étaient considérées comme des branches du sacerdoce. Doués de rares facultés, les ancêtres d’Hébidie acquirent un grand renom dans les Gaules comme professeurs d’éloquence ou de poésie. Sous le règne de Constantin, un Attius Patera s’illustra dans l’enseignement de la rhétorique à Rome, et mérita le titre de « maître des puissans orateurs, » que lui donna plus tard le poète Ausone. Son père Phœbicius et son frère exercèrent à Bordeaux la même profession avec un éclat pareil, et Delphidius son fils, avocat, poète, magistrat, mêlé aux partis politiques sous les principats de Constance et de Julien, remplit la Gaule de sa gloire un peu turbulente,

  1. « Tibi paterœ. — Sic ministros nuncupant Apollinaris mystici. » Auson. Clar. Prof.