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dans nos bibliothèques des livres corrects plutôt que de beaux livres. » Ces attaques contre une entreprise nouvelle pour l’Occident, et à laquelle il mettait un devoir de conscience, lui arrachent incessamment des plaintes. « On consulte, dit-il, les traductions grecques d’Aquila, qui était Juif, et celles de Symmaque et de Théodotion, qui étaient des hérétiques judaïsans ; on les lit dans les églises d’Orient, d’après la collation des Hexaples, et pourtant que de choses on y relèverait ! que d’interprétations faussées dans le dessein d’obscurcir les mystères profonds de nôtre salut ! Et moi, qui suis chrétien, né de parens chrétiens, moi qui porte sur mon front le signe de la rédemption, des hommes, moi qui n’ai qu’un vœu, un but, une passion, la vérité et la gloire de mon Dieu, je n’ai pas le droit d’être utile, et je ne suis qu’un fléau pour l’église !… »

Ses commentaires aussi lui causèrent plus d’un ennui. On les trouvait trop littéraires en Occident, et la routine s’étonnait des soudaines révélations qui en jaillissaient. Enfant des Grecs par la doctrine, il faisait passer dans l’idiome latin le tour vif et spirituel de leur langage, et ces fleurs de style qui s’accommodaient bien d’ailleurs à son génie : Jérôme fut l’initiateur de la chrétienté occidentale à la grande exégèse biblique. Aussi les esprits d’élite que l’Italie et la Gaule produisaient surent, par leur vive admiration, le dédommager des dénigremens vulgaires ; mais ils apportèrent un surcroît de labeur à sa vieillesse. À mesure que le goût de ses écrits se répandit, Jérôme vit arriver de toutes parts à son adresse des consultations dogmatiques, morales, exégétiques, par lettres, par livres, par ambassades. Moines et évêques, laïques et prêtres, matrones et gens du monde le poursuivirent de questions d’une rive à l’autre de la Méditerranée, et comme la correspondance était lente et que les lettres s’égaraient parfois, on choisissait souvent pour truchement un voyageur ecclésiastique chargé d’interrogations de toute sorte destinées au solitaire, et dont le voyageur devait rapporter la réponse écrite ou verbale. Jamais les oracles de la Grèce païenne ne reçurent autant de députations à leur porte. Cette gloire pourtant n’était pas exempté de dangers. L’envie éplucha les pages de Jérôme pour y découvrir des crimes publics à défaut d’hérésies. En commentant Daniel, il avait cru reconnaître dans cette statue de Nabuchodonosor, qui avait des pieds de fer et d’argile, un symbole de l’empire romain, inébranlable et fondé sur le fer tant qu’il avait conservé sa vieille vertu guerrière, devenu d’argile le jour où, se reniant lui-même, il avait livré à des stipendiés barbares ses armes, sa protection, son salut. La malignité vit là une attaque préméditée contre le Vandale Stilicon, et a un scorpion, animal venimeux et muet, » dit à ce propos Jérôme, alla verser dans l’oreille