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V

Après avoir exposé les théories diverses qui composent comme une trilogie philosophique dans le drame, peut-être sera-t-il utile de montrer comment ces différentes parties se relient entre elles. Il semble bien que le lien qui les rattache soit l’idée de l’activité de Faust, de plus en plus utile et développée à travers les expériences variées de la vie, et s’élevant par un progrès continu vers la perfection morale, plutôt entrevue que clairement aperçue et définie par le poète.

Une nuit emblématique sépare le second Faust du premier, qui s’achève à la mort de Marguerite. Tandis que le roi des sylphes, Ariel, berce dans les mélodies et les parfums le sommeil du grand coupable, son âme se renouvelle et s’apaise. Les souvenirs affreux, le désespoir, disparaissent insensiblement. Une idée chère au poète panthéiste s’exprime sous le gracieux symbole de cette nuit remplie des chastes ivresses que la nature prodigue à ses élus, à ceux qui savent la comprendre et l’aimer. Après les grandes catastrophes et même après les grandes fautes, le remède unique, suprême, c’est l’abandon de soi à cette force universelle, mystérieuse, éternellement active et salutaire, qui répare tout parce qu’elle crée tout. Les âmes malades y retrouvent la santé, les esprits inquiets le calme, les consciences troublées le repos, et, pour suivre la pensée de Goethe jusqu’au bout, le pardon. Oui, pour Goethe, ce grand adorateur de la nature, il émane d’elle non-seulement des vertus physiques qui fortifient, mais une lumière qui éclaire, une vertu morale qui régénère, l’oubli, l’apaisement souverain des remords. Elle est l’indulgente mère et la consolatrice auguste de l’homme, la puissance religieuse qui relève et qui absout. Elle verse dans notre misère l’eau purificatrice du Léthé ; elle nous consacre par ses énergies divines pour les grands combats de la vie.

Sous son influence sacrée, Faust a senti, dans la substance réparée de son âme, jaillir la source d’une vie nouvelle. Les lâches abattemens de la veille ont fait place à des résolutions viriles. Une jeune vigueur s’est répandue dans tous ses membres. Le chœur invisible lui a dicté dans ses chants les oracles qu’il doit suivre : « Courage ! n’hésite pas, sache t’enhardir ! lui ont dit les enfans de l’air ; marche droit à ton but, tandis que la multitude flotte et s’égare dans ses voies. Il peut tout accomplir, le noble esprit qui comprend et agit vivement. » Et dès que l’aurore a brillé, secouant la faible entrave du sommeil magique qui le tenait enchaîné, Faust se relève libre et fort pour ses nouvelles destinées. Dans une apostrophe sublime, il remercie la terre qui l’a tenu endormi dans les