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envieux et, ce qui est plus terrible, les affamés font entendre l’écho de leurs vagues colères. Rien n’éclate encore, mais tout est déjà menace et pressentiment. Et cependant le gracieux seigneur s’amuse au milieu de sa cour idiote. Les fêtes se préparent à la vue du peuple qui souffre ; ce sont tous les prolégomènes de la révolution. Les frivolités et les folies de la royauté au XVIIIe siècle trouvent ici leur symbole et leur flétrissure.

Parmi les mascarades qui défilent devant nous et dont chacune a son sens allégorique, souvent très subtil et très obscur, deux surtout méritent de fixer notre attention. Dans l’une, l’empereur représente le dieu Pan. Il s’avance escorté de nymphes qui célèbrent sa gloire, ses vertus, sa puissance. Au milieu de ces adorations et de ces prestiges, il se croit dieu ; il est si facile et si doux de le croire ! Les courtisans, qui savent que le dieu n’est qu’un homme, répandent parmi la foule le mensonge dont ils vivent, et qui, s’il est détruit, les anéantit. Une voix prophétique et grave annonce que bientôt le secret d’où dépend le salut de l’état va être dévoilé et que les catastrophes approchent ; elle n’est pas écoutée. « Il va se passer à l’instant une chose terrible, les contemporains et la postérité refuseront d’y croire… Recueillons-nous dans une haute pensée, et ce qui arrive, laissons-le s’accomplir sans nous troubler. » Voici que tout d’un coup l’incendie éclate de toutes parts. Le grand Pan lui-même n’est pas épargné ; sa divinité d’emprunt tombe avec les attributs dont il s’est affublé. Le feu gagne partout, et l’empereur ne peut rien pour l’arrêter ; bien plus, il va en être la première victime. Hélas ! il était donc vrai, le grand Pan n’était qu’un homme, un pauvre homme. Le fatal secret circule d’abord à voix basse, puis il éclate. « O nuit à jamais funeste, s’écrie le héraut, quels maux nous a-t-elle apportés !… Le jour de demain publiera ce que nul n’entendra volontiers… J’entends crier de toutes parts : « C’est l’empereur, » oui, lui-même, qui souffre ce supplice !… Oh ! plût à Dieu que toute autre chose fût vraie !… Une nuit fait son œuvre, et demain la magnificence impériale ne sera qu’un monceau de cendres. » Par bonheur, Faust est là ; il appelle les nuages, éteint l’incendie. L’empereur, un instant troublé, reprend sa joyeuse sérénité. Il n’a rien compris à ce qui s’est passé. Il n’a vu qu’une féerie là où on lui donnait le spectacle symbolique d’un temps qui s’approche, où le mystère des origines, qui jusqu’ici a divinisé les royautés, ne trompera plus personne, où la majesté du grand Pan tombera avec les prestiges qui l’entouraient, où tout le monde saura que les rois eux-mêmes ne sont que des hommes. Il faut qu’ils apprennent par de rudes expériences que le jour où le pouvoir cesse d’être utile, il cesse d’être légitime aux yeux d’un peuple sans fanatisme, parce qu’il est sans illusion.