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errent, sous des noms antiques, dans cette nuit solennelle, et s’avancer jusqu’au centre du labyrinthe où se révèle enfin, à la clarté de l’idée pure, l’autel du dieu.

Un petit nombre seulement d’audacieux qui ont eu ce courage sont revenus sains et saufs de ce pèlerinage redouté. Tant de difficultés amoncelées aux abords du temple effraient les simples mortels. On dirait que le poète a voulu en écarter la foule, et lui-même plus d’une fois, sur la limite du bois sacré où il rend ses oracles, il a prononcé l’odi profanum vulgus et arceo. « L’homme qui n’a pas en lui-même quelques-unes de ces idées ne saura pas ce que j’ai voulu dire. » Il ajoute orgueilleusement quand on lui parle du public : « Ah ! laissez là le public, je ne veux pas en entendre parler ! L’important, c’est que ce soit écrit ; le monde peut ensuite en faire ce qu’il voudra et en tirer profit autant qu’il en sera capable. » Paroles imprudentes ! le public s’éloigne du poète dont il s’est senti méprisé ; il châtie par son indifférence l’œuvre dans laquelle le poète n’a pensé qu’à faire les honneurs de son esprit.

Tel se présente à nous le second Faust, œuvre d’érudition et de science plutôt que d’émotion et de poésie ; mais ces difficultés mêmes, qui éloignent la foule, sont un attrait presque irritant pour la critique philosophique, qui à travers tant de difficultés redoutables veut pénétrer jusqu’au point central, jusqu’au cœur de l’œuvre, pour mieux se rendre compte de ce prodigieux mouvement d’idées accompli pendant cinquante années de méditation dans l’esprit du poète, et du progrès de sa pensée sur tous les grands objets dont s’occupe la curiosité spéculative. Sans nous soucier autrement de l’économie générale de ce drame, qui, de l’aveu de Goethe lui-même, est composé de parties à peu près indépendantes, nous réduirons à quelques questions l’étude que nous voulons en faire. Ces questions se rattachent sans trop d’effort à trois poèmes bizarrement entrelacés : l’un qui comprendrait Faust à la cour et la vieillesse de Faust ; le second, suffisamment marqué par un nom magique, le nom d’Hélène, le troisième qui contiendrait l’histoire d’Homunculus et la nuit classique de Walpürgis. C’est là, j’en conviens, une division tout idéale de l’œuvre ; mais elle a l’avantage d’y introduire une certaine unité, en mettant quelque ordre dans les sujets traités et quelque lumière dans l’esprit du lecteur. Sous ces titres viennent s’ordonner d’elles-mêmes les théories du poète sur la politique, sur l’art, sur la nature. A travers l’œuvre se répand une idée générale qui, perdue plus d’une fois, autant de fois retrouvée, éclaire d’une lumière intermittente les ténèbres visibles du poème et permet au lecteur de s’y diriger, quoique d’un pas toujours incertain. C’est l’idée qui résume les longues méditations de Goethe sur la vie et son expérience morale tout entière,