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Les bandes impériales, dont le prince d’Orange avait pris le commandement, étaient déjà entrées dans le Borgo ; la blessure mortelle du duc de Bourbon, loin de les abattre, les avait excitées jusqu’à la fureur ; elles avaient déjà perdu beaucoup de monde au pied des murailles, que les Espagnols surtout abordèrent avec une opiniâtre impétuosité. Les quatre premières enseignes qui parvinrent à les franchir furent prises par Renzo da Ceri[1] ; mais à la fin les agiles et intrépides assaillans s’y précipitèrent de tant de côtés que les défenseurs du Borgo ne purent et ne voulurent plus leur faire face. Débandés, tremblans, beaucoup d’entre eux furent égorgés pendant leur fuite, dans laquelle ils avaient entraîné Renzo de Ceri. Les impériaux, se répandant au cri de España ! España ! amazza ! amazza ! à travers le Borgo, rempli de tumulte, d’épouvante et de sang, les poursuivirent jusqu’au pied de la grande forteresse, dont on leur avait à peine fermé l’entrée en faisant tomber la herse[2].

Clément VII venait de s’y réfugier : il avait appris avec terreur dans le palais du Vatican que l’armée impériale tentait l’escalade du Borgo. Au plus fort de l’attaque, il s’était rendu dans la chapelle pontificale, et, prosterné au pied de l’autel, il avait prié Dieu de protéger la ville de Rome, à la défense de laquelle il n’avait pas su pourvoir lui-même. Lorsque les murailles avaient été franchies et que les impériaux s’étaient jetés dans le Borgo, le pape avait quitté précipitamment le palais, et il avait gagné le château Saint-Ange par une galerie extérieure. En traversant cette galerie, il entendait les cris féroces des vainqueurs acharnés à tuer, et voyait les malheureux fugitifs tomber sous les coups de pique ou de glaive. Il se plaignait d’être trahi et se lamentait. Le prélat Paul Jove le suivait, relevant la queue de son long vêtement pour qu’il marchât plus vite, et, lorsqu’il passa sur le pont découvert qui menait dans la forteresse, Paul Jove couvrit de son manteau violet la tête et les épaules de Clément VII, de peur que le rochet blanc du souverain pontife ne le rendît un point de mire et ne l’exposât à recevoir un coup d’arquebuse de quelque soldat luthérien[3].

  1. « Leurs gens ne laissèrent de marcher et gagnèrent une brasche où entrèrent troys ou quatre enseignes, lorsque le seigneur Rence y survint qui les repoussa et gaigna les enseignes. » Lettre de Guillaume du Bellay.
  2. Il sacco di Roma, da Guicciardini, p. 188-189. — Lettre de Guillaume du Bellay.
  3. La Vita di Pompeo Colonna cardinale, di mons. Paolo Giovio, dans le Vite di dicenove Huomini illustri, descrite da mons. Paolo Giovio in Venetia. M.D.LXI, in-4o.