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n’est d’ailleurs presque jamais seul, car les eaux sont encore plus peuplées que la terre. Il existe au fond comme à la surface de la mer un horizon dans lequel se trouve circonscrit le rayon visuel ; seulement l’horizon sous-marin est naturellement beaucoup plus étroit que l’autre. Dans ce cercle borné qu’embrasse la vue apparaissent de moment en moment, comme des navires à la voile, toute sorte de formes animées. Le plus souvent c’est une troupe de petits poissons effrayés et poursuivis qui fuient devant un des ogres de la mer. Quand tout est calme, ces poissons, attirés sans doute par l’éclat métallique, viennent au contraire s’abattre comme une volée d’alouettes autour de la tête du plongeur et effleurent de la bouche la surface du casque. Il en est même qui prennent bien d’autres libertés. Un diver fut dernièrement mordu à l’épaule par un chien de mer, dog-fish. Comme les plongeurs anglais ont à peu près travaillé dans toutes les mers sans jamais avoir été attaqués par le requin, on en a conclu que ce féroce animal était effrayé par la vue d’un pareil triton à tête de cuivre étamé. N’ont-ils pas d’ailleurs leur couteau, arme beaucoup plus positive contre les voraces appétits du monstre ? L’ingénieur prussien dont j’ai parlé, M. Euber, ne se montre guère convaincu cependant de l’efficacité de l’armure du plongeur pour intimider un tel ennemi. Il travaillait depuis une heure sur un débris de naufrage, quand à la lumière fantastique des eaux il crut apercevoir à quelque distance une embarcation échouée qu’il n’avait pas remarquée jusque-là. Il s’avançait pour reconnaître l’objet, qui glissa dans le liquide sans faire aucun mouvement visible, mais en jetant un regard affreux et une clarté livide. Pour le coup, c’était bien un requin. M. Euber alla chercher refuge avec un autre compagnon derrière la carcasse du vaisseau naufragé. La situation était critique : leurs amis, ne recevant plus de signaux, pouvaient d’un instant à l’autre les hisser à la surface, ce qui eût donné tout l’avantage au monstre ; aussi se décidèrent-ils à couper la corde. L’animal vint les guetter quelque temps entre les ais disjoints du navire. On croyait lire sur sa physionomie féroce quelque étonnement ; il n’avait jamais rencontré dans les eaux des êtres avec une pareille figure. Les deux plongeurs ne s’en préparaient pas moins à vendre chèrement leur vie, quand, après mûre délibération, le requin s’éloigna.

Jusqu’ici la mer n’a guère rendu à l’homme que ce qu’elle lui avait ravi. Le plongeur dispute aux vagues les restes de leur proie ; il va chercher dans le gouffre les richesses que le gouffre a dévorées. Et pourtant les eaux sont un vaste champ de production. Les bancs de corail et d’huîtres perlières, ces richesses naturelles de certaines parties de l’Océan ou de la Méditerranée, méritent bien de tenter l’ambition des sociétés modernes. Jusqu’ici une telle mine