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sac, et qui se termine aux deux extrémités par un pantalon à pied ainsi que par une paire de manches. La partie supérieure de cet habillement me fut alors étroitement attachée autour du cou par un mouchoir, et autour des deux poignets on me plaça un anneau en gomme élastique de manière à coller sur la chair l’extrémité des manches, déjà très serrées. Je n’eus point de peine à comprendre que cette dernière précaution était destinée à empêcher l’eau de s’introduire. On me fit ensuite chausser une grosse paire de souliers à semelle de plomb pesant chacun dix livres. Après m’avoir mis sur la tête un bonnet de laine, on me chargea les épaules de la pèlerine métallique (collar of the helmet), sorte de collerette en étain poli comme de l’acier avec une bordure de cuivre. Au moyen de trous percés dans cette bordure et de vis qui s’y adaptaient à merveille, on fixa hermétiquement l’extrémité inférieure de la pèlerine à un bourrelet de cuir qui courait sur l’habit tout autour de la poitrine et du dos. J’étais ainsi encaissé, quand une main me posa sur la tête un casque de forme sphérique avec un gros œil en verre de chaque côté, et une seule ouverture vis-à-vis de la bouche ; c’est par là que je respirais, et encore assez mal. Ma position me faisait songer à celle du masque de fer, surtout quand on riva solidement le casque dans la pèlerine métallique dont j’ai parlé. Pour ajouter à mon armement, on me passa autour des reins une ceinture à laquelle était attaché un couteau-poignard dont la formidable lame se trouvait enfermée dans un fourreau de cuivre, seul moyen de la défendre du contact avec les eaux. Le couteau-poignard était destiné à trancher les nœuds gordiens que je pourrais rencontrer sur ma route aquatique et à combattre les monstres marins. Il ne me manquait plus qu’une hache à la main pour ressembler à un véritable plongeur autant qu’une caricature est capable de ressembler à un portrait. Je me trompe : les hommes me firent observer que j’étais encore beaucoup trop léger, et que je ne descendrais jamais ainsi au fond de la mer. En conséquence on m’attacha sur le devant de la poitrine et derrière le dos deux morceaux de plomb pesant chacun quarante livres. Pour le coup, ma toilette était complète. Je regardai alors l’ombre que je découpais à la surface du bateau, et je ne pus m’empêcher de rire. En quel animal fabuleux avais-je été changé ?

Ce n’était pas seulement mon ombre qui m’étonnait. Chaque fois que j’essayais de parler, ma voix résonnait creuse et sourde dans la cavité du casque. Je demandai cependant aux plongeurs si, étant déjà en si bon chemin, je n’essaierais point de descendre tout de bon au fond du détroit de la Manche. Ils ouvrirent de grands yeux dans lesquels je crus lire un sentiment de doute et d’inquiétude.