Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans certains cas, on échange même des messages au moyen d’une corde qui communique par un bout dans l’intérieur de la cloche et de l’autre à la surface. Les ouvriers écrivent ce qu’ils désirent soit avec la plume sur un morceau de papier, soit avec la craie sur une planche, et dépêchent cet avis à la surface. Leurs ordres sont aussitôt exécutés ou dans le cas contraire on leur fait savoir que la chose n’est point praticable[1]. Ce système de signaux exerce une heureuse influence non-seulement sur l’exécution des travaux sous-marins, mais encore sur le moral des plongeurs. Ensevelis dans le silence des eaux profondes, c’est le seul lien qui les rattache du sein de l’abîme au monde des vivans.

« Ils commencent à travailler, » me dit bientôt le contre-maître, qui suivait sous les vagues tous les mouvemens de ses ouvriers. La nature de leurs fonctions varie naturellement beaucoup selon le caractère des entreprises. Les deux plongeurs qui venaient de descendre avaient pour tâche de déblayer dans cet endroit-là les abords du brise-lame. A peine arrivés au fond, ils sautent à bas de leur siège et, armés d’un pic, fouillent le sable humide pour en extraire les pierres. Il arrive quelquefois que le mouvement de la marée ou toute autre cause trouble la base rocheuse du Break-water. Les ouvriers ont alors beaucoup de peine à y voir et se plaignent de ce que « la lumière est bourbeuse. » En général pourtant, l’eau se montre si transparente qu’on aperçoit du fond de la mer un nuage passant dans le ciel. Aussi les ouvriers travaillent-ils avec presque autant d’aise et autant d’ardeur que s’ils étaient à terre. Le mouvement qu’ils se donnent, joint au milieu dans lequel ils se trouvent, fait de temps en temps monter devant leurs yeux comme une épaisse vapeur qui leur dérobe les objets ; ils en sont quittes pour demander « un bain d’air. » La pompe redouble alors d’activité et leur souffle par le tuyau un courant qui dissipe le brouillard. Je ne tardai point à juger par moi-même de leur industrie : des sacs qu’ils avaient remplis de sable boueux et des seaux, buckets, qu’ils avaient chargés de pierres remontaient de moment en moment à la surface, attirés par des cordes. On eût dit l’embouchure d’une mine vers laquelle des bras invisibles envoient incessamment des débris de roche ; seulement la mine ici était la mer. La nature de ces fouilles ne permet point de travailler toujours à la même place. Déjà les plongeurs avaient demandé par un signal qu’on changeât leur position au fond du lit du détroit.

  1. Cette correspondance prend quelquefois un ton enjoué. « Nos complimens à nos amis d’au-dessus de l’eau, « tel était le texte d’un de ces messages, auquel il fut répondu en moins de trois minutes ; « Santé et prospérité aux gentlemen habitant la région des poissons ! »