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roubles ; 1864, déficit de 46,500,000 roubles ; 1865, 22,400,000 roubles ; 1866, 21,583,000 roubles : en d’autres termes, de 80 à 150 millions de francs. Et comme ce sont justement des années où la diminution des recettes se combine avec l’augmentation des dépenses, il s’ensuit que les déficits réels dépassent de beaucoup les prévisions des budgets[1]. Comment sortir de là ? Il y a des personnes, il est vrai, qui ne reculeraient pas devant une bonne petite liquidation par voie sommaire, en réduisant par exemple la valeur du papier-monnaie en circulation ; mais ce sont les personnes que le mot de banqueroute n’effraie pas, qui traitent les finances à la Pierre le Grand. En dehors de ces procédés, que les financiers réguliers n’admettent pas, le gouvernement aura-t-il recours à des emprunts intérieurs ? Il l’a essayé l’an dernier, en 1865 ; il a ouvert un emprunt-loterie de 100,000,000 de roubles, auquel il a attaché toute sorte d’avantages, primes, tirages, amortissement. Il semblait au premier abord que l’argent allât affluer au trésor, que l’emprunt dût être couvert trois et quatre fois. Quel a été le résultat ? La souscription publique dépassait de 15 millions à peine la somme demandée. La Russie s’adressera-t-elle aux capitaux de l’Occident ? Mais ici c’est sa politique qui se relève contre ses combinaisons financières. Elle ne peut songer sérieusement à demander à l’Europe les moyens de suivre un système qui s’inspire d’un sentiment d’antagonisme vis-à-vis de l’Occident. Les capitaux n’ont point d’opinions Sans doute, ils ne sont ni absolutistes, ni libéraux, ni partisans des nationalités, ni partisans de ceux qui les oppriment ; ils ont cependant une certaine susceptibilité, ils ont besoin d’appui moral, ils ne vont guère contre un courant d’opinion, et ce serait assurément un phénomène étrange autant que nouveau de voir les capitaux européens aider la Russie à suivre une voie où la diplomatie de l’Occident a vainement essayé de l’arrêter. Les Russes de bon sens et de prévoyance ne s’y méprennent nullement ; par malheur, ils ont aujourd’hui peu d’ascendant. On a voulu nommer récemment, on a nommé peut-être une commission pour examiner cette situation financière, et qui songeait-on à placer dans cette commission ? Mouraviev lui-même, comme si l’idée ultra-russe était un remède à tout, même au déficit !

Elle n’est un remède à rien, elle aggrave et complique tout, et elle ne fait que créer à la surface de la Russie une agitation artificiellement entretenue où disparaît la réalité des choses. Ce qui est vrai, c’est que la Russie est dans un violent état de transition dont le dénoûment est à la merci de cette lutte incessante entre l’esprit de modération et le déchaînement d’instincts prétendus nationaux.

  1. Le gouvernement russe publie les budgets préventifs, mais le difficile est de connaître les comptes de liquidation de chaque exercice.