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occidentaLes lorsque dans l’empire même tant de propriétaires exténués veulent vendre leurs biens sans y réussir ? Sera-ce le gouvernement qui fournira ces avances d’argent ? Il l’a déjà essayé et il n’a trouvé pour complices que des spéculateurs véreux qui l’ont audacieusement exploité sans faire un achat sérieux. Mais il y a bien autre chose dans l’oukase du 22 décembre, la pensée elle-même, et cette pensée, jetée au milieu d’intérêts ébranlés par les polémiques ultrarusses, est devenue un nouveau signal d’émotion et d’inquiétude à Pétersbourg ; elle n’a pas passé sans rencontrer une vive et sérieuse opposition, même dans le conseil de l’empire. Les Allemands, qui ont eu depuis quelque temps à essuyer les assauts du parti ultra-russe, se sont dit naturellement qu’après les Polonais viendrait leur tour. Les grands propriétaires russes eux-mêmes se sont dit qu’après les Polonais et les Allemands on arriverait à eux. Ils commencent à soupçonner que la Dwina et le Dniéper ne sont pas assez larges pour qu’un principe posé dans les provinces polonaises ne puisse passer en Russie, et le journal conservateur la Wiest s’est élevé très fermement contre une si flagrante atteinte portée au droit de propriété. Les modérés du gouvernement, ramenés à la lutte, M. Valouief en tête, les hommes d’état du temps de Nicolas, accoutumés à plus de méthode, ont combattu la mesure pour ce qu’elle a de violent et d’impraticable. De là une crise où M. Valouief a failli disparaître comme ministre, sans doute pour laisser la place libre à M. Milutine, qui triomphe aujourd’hui. Réduire à la vente forcée des gens qui n’ont pas d’acheteurs et qui n’en peuvent avoir, c’est décidément peu pratique, et il allait plus droit au fait, ce tchinovnik qui, au dire d’un journal russe, résumait ainsi la situation : « Il y a chez nous en Lithuanie quatre catégories de biens, les confisqués, les séquestrés, les ruinés et les dérangés. Si j’étais Kauffmann, voici ce que je ferais : je distribuerais aux tchinovniks russes les biens confisqués, je confisquerais les biens séquestrés, je séquestrerais les biens ruinés et je ruinerais les biens dérangés. » C’est le commentaire de l’oukase du 22 décembre.

Le résultat le plus clair, le plus palpable de cette politique, c’est d’agiter tous les intérêts, d’ébranler toutes les situations, de peser sur tous les élémens naturels de travail et de richesse, et de se traduire en un appauvrissement universel dont l’état est le premier à se ressentir dans ses finances, dans ses ressources frappées de stérilité, dans ses revenus ordinaires, qui diminuent au lieu d’être en progrès. Je ne parle plus même de cette masse de papier-monnaie et de dette flottante sous laquelle fléchit depuis longtemps la situation financière de la Russie. Qu’on prenne simplement les budgets des trois ou quatre dernières années : le fait normal, toujours prévu, est un déficit irrémédiable : 1863, déficit de 15,700,000