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maître. Ils étaient hier la chose du seigneur, du propriétaire ; ils sont aujourd’hui la chose du gouvernement, auquel ils sont liés par une dette à long terme, de la police, qui se substitue sous bien des rapports aux droits seigneuriaux, — et c’est là que se révèle cette politique qui fait au nom du tsar un mélange de démocratie et de bureaucratie.

J’en dirai autant des institutions territoriales ou assemblées de provinces et de districts qui constituent ce qu’on est convenu en Russie d’appeler le self-government, — un self-government tout local et administratif, bien entendu. Ces institutions ont été créées par un oukase du 1er janvier 1864, elles ont été mises en pratique dans le courant de 1865. Par leur appareil extérieur, par le jeu et les limites de leurs attributions, elles répondent assez aux conseils-généraux et aux conseils d’arrondissement de France ; elles sont élues pour trois ans, elles ont des sessions périodiques de dix jours, elles ont dans leur sphère les questions économiques et administratives intéressant la province ou le district. Sur un point, elles se rapprochent des institutions provinciales de la Belgique : elles ont une sorte de députation permanente, un comité exécutif élu pour trois ans par les assemblées elles-mêmes, fonctionnant dans l’intervalle de leurs sessions et pouvant être indéfiniment renouvelé. Le comité exécutif, c’est le représentant de l’assemblée auprès du gouvernement. Certes, à ne considérer que le fait en lui-même, c’est une chose nouvelle. Pour la première fois en Russie, les populations ont été appelées, sans distinction de classes, à choisir des représentans ; pour la première fois, ces représentans se sont réunis pour délibérer en commun sur des intérêts, si restreints qu’ils soient, pour agiter certaines questions. C’est un progrès qui vaut mieux que de chercher un remède aux abus et aux embarras de la centralisation en nommant des commissions « pour diminuer les écritures officielles, » comme on le faisait il n’y a pas longtemps encore. Ici pourtant, comme dans le reste, tout dépend de la signification réelle de ces institutions. Je ne veux m’arrêter qu’à deux points caractéristiques de cette tentative d’acclimatation du self-government en Russie.

Il y a un homme qui ne s’y est point trompé, et quel est cet homme ? C’est M. Katkof lui-même, qui a des momens de vigoureuse lucidité, quand il n’est pas offusqué par le fantôme du polonisme. M. Katkof a vu bien vite, il a dit sans détour que la condition première du self-government, c’est la gratuité des fonctions électives. Ce comité exécutif qui a l’air d’une garantie, qui a une couleur de libéralisme, ce comité élu, il est vrai, mais largement rétribué, qu’est-ce autre chose qu’un rouage