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mouvement d’opinion où c’était une tout autre chose qui triomphait. Il s’en est suivi une première déception qui a été le commencement de bien d’autres, — l’échec humiliant de l’assemblée de Moscou.

Manifestation curieuse d’ailleurs ! c’est une vraie session parlementaire par le tour des discussions, par le talent des orateurs. Rien n’y manque, ni le discours d’ouverture, — que le gouverneur de Moscou, le général Afrosimof, avait demandé, dit-on, à M. Katkof, — ni la stratégie, ni les motions, ni l’éloquence, ni même les interruptions et les applaudissemens. On en a la sténographie complète[1], et il n’est point douteux que le jour où la Russie aurait un parlement, elle trouverait des hommes singulièrement rompus aux tactiques des discussions, comme elle a déjà une presse où ce n’est point le talent qui manque. De quoi s’agissait-il au fond ? C’était évidemment une grande, presque une suprême tentative pour reconquérir une influence bien amoindrie. La vraie pensée, après s’être essayée en quelque sorte dans un projet de banque foncière générale de la classe noble, — ce qui était un commencement de constitution de la noblesse sous la forme d’une puissance financière[2], — la vraie pensée, dis-je, se révélait tout entière dans la motion d’une adresse à l’empereur fondée sur « la méfiance générale envers l’administration, » sur la crise universelle où était l’empire, et sur la nécessité d’une représentation publique et indépendante, organe des sentimens du pays auprès du trône ; mais ici commençaient les divisions. Les uns, comme M. Bezobrasof, un des plus persévérans et des plus habiles défenseurs de sa caste, parlaient uniquement de la classe nobiliaire, des droits nobiliaires, toujours la charte de la noblesse à la main. Les autres, comme M. Samarine, — c’est, je crois, un ami de M. Milutine, — soutenaient, non sans un certain embarras, d’abord que la noblesse ne pouvait se séparer des autres classes du pays, auxquelles elle était déjà suspecte, et puis en définitive qu’une pétition dans ce sens serait inopportune. Au milieu de toutes ces divergences s’élevait un orateur jeune encore, — il a moins de vingt-cinq ans, — homme d’avenir sans doute, M. Golokhvastof, qui se prononçait avec une vigoureuse éloquence pour une adresse demandant une représentation de tout le pays. Sous la forme du dévouement le plus absolu à l’empereur, M.

  1. Le compte-rendu de cette curieuse session vient d’être publié sous ce titre : Le vote de la noblesse de Moscou, — débats d’une adresse à l’empereur Alexandre, avec une introduction.
  2. Je ferai remarquer ici que chaque assemblée de noblesse a le droit légalement reconnu et sans autorisation de créer une banque pour l’usage des propriétaires de la province. Ce qu’il y avait de nouveau dans le projet émis à Moscou, c’était d’établir une entente entre toutes les assemblées de noblesse de l’empire pour arriver à la création d’une banque générale servant de lien, de moyen d’action, et constituant une force collective spéciale à la noblesse. C’est là qu’était la vraie difficulté.