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par une assimilation méthodiquement implacable de la Pologne à la Russie. C’est le dernier système, on le sait, qui a triomphé sous le feu des excitations du parti ultra-russe, et qui a été appliqué dans le royaume comme en Lithuanie avec quelques nuances légères, assez illusoires qui tiennent à la différence des situations. C’est le système qui s’est condensé dans une série de mesures en effet « radicales, » et dont les plus saillantes sont l’oukase du 2 mars 1864, qui change les bases et les conditions de la propriété, l’oukase du 11 septembre, qui a la prétention de reconstituer l’enseignement, enfin un décret postérieur et assez récent qui modifie complètement la condition du catholicisme en Pologne par la suppression de la plus grande partie des maisons religieuses, par la mainmise sur les propriétés ecclésiastiques, par l’asservissement de l’église à l’état.

La pensée de toutes ces mesures était évidente. C’était toute une révolution sociale pour atteindre l’esprit de nationalité dans ce que j’appellerai ses forteresses jusqu’ici inexpugnables, — la propriété, la civilisation intellectuelle, la croyance religieuse ; mais, pour faire une révolution sociale, il ne fallait pas songer à employer des Polonais, et en Russie le cadre des fonctionnaires devenait insuffisant : on était dès lors conduit à recruter tout ce qu’on trouvait, aspirans aux emplois, jeunes officiers impatiens de fortune, militaires en retraite, nobles ruinés, étudians, fils de popes, classe nombreuse, remuante et bigarrée, travaillée depuis longtemps par toutes les idées de démocratie outrée, de radicalisme égalitaire ou de patriotisme slavophile. — La Pologne a été livrée comme un champ d’expérimentation à cette légion de nouveaux tchinovniks qui sont arrivés dans le pays en se disant qu’ils étaient des missionnaires, et qui ont agi en effet comme des hommes qui ont le fanatisme d’une idée en même temps que le sans-façon de conquérans sans scrupules. C’est là l’origine de ce phénomène devenu prédominant, — l’alliance de tous les élémens révolutionnaires et slavophiles avec l’impérialisme. C’est la raison génératrice de cette situation nouvelle que M. Katkof a contribué à créer, qu’il soutient de sa passion, où bien d’autres ont eu un rôle, mais qui en réalité est venue se résumer dans un personnage que je n’ai point nommé encore, M. Nicolas Milutine, le conseiller aujourd’hui le plus écouté du tsar, l’homme qui représente la politique actuelle mieux que tout autre, mieux que Mouraviev, mieux que le prince Gortchakof, parce que chez lui cette politique s’élève à la hauteur d’une conception systématique et coordonnée.

M. Milutine n’est point un inconnu en France, où on l’a vu, il y a quelques années, passer dans les sociétés d’économie politique, qu’il