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appuyée de documens nombreux, était en définitive une charge à fond contre le parti ultra-moscovite et son principal représentant dans la presse, M. Katkof. D’où venait-elle ? à quoi se rattachait-elle ? Ce qui est certain, c’est qu’elle résumait plus ou moins les opinions des modérés russes sur la seule solution possible de la question de Pologne par le maintien de l’autonomie dans le royaume, par le retour à un gouvernement libéral ; ce qui est certain aussi, c’est qu’à peine arrivée à Pétersbourg, cette brochure était envoyée par M. Golovnine aux diverses institutions scientifiques, aux universités, par le ministre de l’intérieur, M. Valouief, aux établissemens administratifs. M. Katkof poussa un rugissement de colère contre un livre « signé d’un nom italien, comme il disait, écrit par un Allemand, » et qui avait la prétention d’enseigner à la Russie ce qu’elle devait faire. Depuis, Schedo Ferroti est resté pour le rédacteur de la Gazette de Moscou une sorte de bouc émissaire universel, tout au moins un émule ou un allié d’Hertzen, de Mazzini et des incendiaires. Aux excitations de M. Katkof, les ardens du parti ressentirent aussi l’injure ; l’université de Moscou renvoya sans l’ouvrir l’exemplaire qui lui avait été adressé, et à sa suite, comme toujours, les autres universités renvoyèrent les exemplaires qu’elles avaient reçus de M. Golovnine. Ce n’est pas tout : rendant guerre pour guerre, M. Katkof engageait la lutte, par-dessus la tête de Schedo Ferroti, contre ceux qu’il accusait de l’avoir inspiré, qui s’étaient faits les patrons de son livre. Ce fut pendant quelque temps un spectacle curieux. On était encore sous la censure, — et la censure commença bientôt à s’émouvoir des attaques dirigées contre les ministres ; elle biffait les articles, M. Katkof rétablissait les passages supprimés. Là-dessus amendes sur amendes accablaient le journal. A la fin, exaspéré, M. Katkof éclata, publiant le chiffre des amendes qui pesaient sur lui et menaçant de quitter la rédaction de la Gazette de Moscou, à moins qu’il ne fût exempté de la censure. L’émotion fut extrême, et une question de presse devenait une affaire de gouvernement soumise au comité des ministres. M. Katkof se rendit lui-même à Pétersbourg ; il avait dans le ministère des amis et des alliés. M. Valouief aussi avait ses amis, et il croyait pouvoir compter sur l’appui de quelques-uns de ses collègues. Il arriva au conseil avec le dossier complet des infractions commises par la Gazette de Moscou. Que se passa-t-il ? M. Valouief parla ; le ministre de la guerre, le général Milutine, parla, mais pour s’élever contre les tracasseries qu’on suscitait à M. Katkof ; le prince Gortchakof parla, mais pour se ranger à l’avis du général Milutine ; les autres ne dirent rien, mais ils se tournèrent du côté de ceux qui parlaient le plus haut. La conclusion fut qu’au