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pour la Russie, M. Katkof a été un jour assez fort pour harceler d’une guerre à peine voilée et acharnée le grand-duc Constantin lui-même, qu’il accusait de tendances polonaises, presque de trahison ; il a été assez fort pour tenir tête, même sous la censure, à quelques-uns des ministres qu’il appelle des pédagogues pétersbourgeois et qu’il représente encore comme des ennemis de la Russie dans l’intérieur du gouvernement. Que dis-je ? Il a été assez fort pour faire acte d’opposition ou de bouderie contre une parole impériale et d’une façon singulière. L’empereur Alexandre II, le souverain aux volontés intermittentes, avait adressé à une députation polonaise une allocution qui choquait toutes les idées du publiciste sur l’assimilation complète de la Pologne. Le rédacteur de la Gazette de Moscou se tut quelques jours, puis il lança une note brève, foudroyante d’irritation dans sa sécheresse, où il disait que son silence n’était motivé ni par la censure ni par un accident quelconque, et qu’il se tairait pour quelque temps. C’était sa manière de protester.

Le malheur de M. Katkof, outre l’injustice et la violence de ses polémiques, c’est de s’être tellement grisé des passions qu’il a soulevées et du bruit de sa parole qu’il en est venu à être une sorte de derviche hurleur du patriotisme, à faire d’une hallucination, où la vanité a sa part, un système permanent et obligatoire. Hors de son idée fixe, il ne connaît plus rien ; l’Occident n’existe plus que comme le foyer d’une dangereuse contagion. Il n’y a pour lui qu’une civilisation, — la civilisation russe, qui se suffit à elle-même et n’a rien à envier aux autres ; il n’y a qu’une politique, — la russification de tout ce qui appartient à l’empire, la russification à la Mouraviev : ainsi unité de l’empire par la fusion de tous les élémens hétérogènes dans le creuset russe, point d’autonomies distinctes, pas plus en Finlande que dans le royaume de Pologne, mêmes formes administratives, mêmes lois, même société, prédominance de la langue russe dans les tribunaux, dans l’enseignement, jusque dans les livres de prières catholiques, protestans ou israélites, propagation de l’orthodoxie et dépendance des autres religions. M. Katkof, sans doute par une réminiscence de ses anciens goûts de libéralisme constitutionnel, voulut un jour parler de la liberté de conscience ; il fut rudement ramené au droit chemin par un autre russophile, M. Pogodine, le même qui, en exprimant les craintes que lui inspiraient la présence d’un nonce du pape à Pétersbourg et le danger des conversions au catholicisme, surtout parmi les femmes, écrivait : « Oh ! avec quelle rage je me serais rué sur une Mme Vorontsof ou une Mme Boutourline et je leur aurais arraché les cheveux quand je les ai rencontrées un livre d’heures à la main près de la Piazza di