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grâce du geste, à l’élégance du style, à l’éclat des images. Il est venu de la force de la vérité, de la noblesse du sentiment ; on se sentait fier sous la puissante parole de l’orateur, fier d’être citoyen sous un gouvernement fondé sur des principes si justes, si grands, si simples. Les adversaires habituels de M. Summer, les démocrates du congrès, se sont couverts d’honneur en se joignant aux témoignages de respect qui ont été rendus si universellement au sénateur radical. Dans l’orgueil que leur inspire cette belle et bonne action oratoire, les Américains se retournent amicalement vers notre vieux monde, et ne dissimulent point l’espoir que ce discours leur fera plus d’honneur en Europe qu’aucun acte public accompli dans leur pays depuis le décret d’émancipation. Nous sommes charmés, pour notre part, de donner raison à cette espérance. Ces douces joies de la popularité immédiate, spontanée, aux effusions naïves, manquent encore, chez nous, aux hommes qui, comme M. Thiers, remplissent la sévère mission de la revendication des libertés publiques ; mais la conscience du devoir rempli, la certitude du service rendu, sont des encouragemens suffisans pour les âmes vigoureuses.

Nous ne ferons pas allusion à la seconde partie du discours de M. Thiers, à celle où l’illustre orateur a dit son opinion sur les questions courantes du jour ; ce n’est point que nous nous sentions embarrassés des dissentimens qui, sur plusieurs de ces questions, nous séparent de M. Thiers. Les appréciations particulières de l’illustre homme d’état, quand même il nous serait impossible d’y souscrire, n’ôtent rien à la puissance de son commentaire constitutionnel. M. Thiers réclame les libertés nécessaires, et nous sommes convaincus, pour notre compte, que ces libertés, quand nous en aurons repris possession, prépareront ou confirmeront sur plusieurs points de la politique économique et de la politique étrangère des solutions contraires à celles pour lesquelles M. Thiers ne dissimule point ses préférences. Bien loin d’être étonnés de voir M. Thiers avouer sur les questions courantes des opinions qui n’ont guère la chance de devenir populaires, nous le louerions plutôt de sa franchise et de sa vaillance. La liberté ne semble point devoir profiter à certaines causes qu’il aime, et cependant il n’hésite point à demander la liberté, même au risque de la voir se retourner contre lui. Il ne saurait y avoir de plus décisif témoignage d’une sincérité plus désintéressée. Une sincérité semblable efface tous les ombrages que pourraient exciter des dissentimens secondaires. Y a-t-il rien de plus naturel et de plus légitime que le maintien de l’union sur les questions essentielles de constitution entre des hommes qui obéissent sur les autres affaires à des tendances et à des aspirations diverses ? Nous ne prendrons point la peine d’essayer la justification logique d’un tel accord ; nous nous contenterons d’une comparaison hypothétique qui peut servir à expliquer la situation des diverses fractions de l’opinion libérale en France. Il y a deux pays incontestablement libres dans le monde : l’Angleterre et les États-Unis. Il y a dans chacun de ces pays trois partis qui professent des idées