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affectent pourtant la profondeur, persistent à maintenir un dualisme et un antagonisme entre ce qu’ils appellent l’autorité et la liberté. Ils opposent les droits de l’autorité aux droits de la liberté, avec l’arrière-pensée constante de subordonner ceux-ci à ceux-là. Ces distinctions abstraites et artificielles sont aussi puériles et aussi usées que la scolastique du moyen âge, et ne répondent à aucune réalité vivante et à aucune logique. C’est le reste des habitudes d’esprit créées par l’ancien droit qui attribuait au pouvoir une mission distincte, supérieure, d’origine et de vocation divines. En face de ce pouvoir, suivant les conceptions de l’ancien monde, la liberté ne pouvait avoir en effet qu’une existence subordonnée et précaire ; mais dans la reconnaissance des lois de la morale politique la révolution française et, il faut le dire aussi, la révolution d’Amérique ont produit des découvertes non moins certaines que celles qui ont accompagné la renaissance scientifique de l’Europe. Copernic et Galilée ont appris au monde que la terre n’était point le centre du système solaire. Les auteurs de la révolution d’Amérique et ceux de la révolution française ont fait entrer à jamais dans la conscience de l’humanité cette vérité, que ce ne sont point les peuples et leurs justes droits qui tournent autour de ce qu’on était accoutumé à nommer l’autorité, que c’est au contraire l’autorité qui dérive de la souveraineté nationale et par conséquent des libertés politiques qui constituent cette souveraineté. Les gens qui du haut du pouvoir se figurent qu’ils ont qualité pour dominer, régenter, restreindre ou suspendre à leur gré les libertés politiques par lesquelles s’exerce la souveraineté populaire ne sont plus que des ignorans semblables à ceux qui croiraient encore que Josué a arrêté le soleil. L’autorité légitime ne peut plus désormais procéder que de la souveraineté nationale ; elle ne saurait être que le mandataire de cette souveraineté ; elle désavouerait dans son origine sa légitimité, ses titres, si elle prétendait s’élever au-dessus des libertés qui sont les organes naturels et nécessaires de la souveraineté une, indivisible et inaliénable du peuple.

Nous ne recommencerons point la déduction si naturelle, si logique, si lucide, que M. Thiers a présentée de ces libertés nécessaires, en dehors desquelles le plus haut des principes de 1789, celui de la souveraineté nationale, ne pourrait plus être mis en avant sans la plus odieuse hypocrisie et la plus outrageante dérision. Toute cette partie de son discours où il nous fait toucher en quelque sorte l’enchaînement de la liberté de la presse, de la liberté de réunion, de la liberté électorale, de la liberté parlementaire, aux principes de 1789, « base du droit public des Français, » entrera dans l’histoire de France comme un de ces immortels commentaires par lesquels les grands citoyens dans les pays libres ont l’honneur de fixer la signification des constitutions nationales. Les nobles préoccupations qui animent M. Thiers donnent lieu à un rapprochement que nous demandons la permission d’indiquer. Cette généreuse tendance qui nous porte à rechercher dans nos origines révolutionnaires les titres imprescriptibles de