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par l’obstacle, jusqu’au sommet de la tour, et retombe avec fracas sur la coupole. Tantôt, quand la nuit est calme, les oiseaux de mer, éblouis par la vive clarté du feu, se précipitent sur les facettes de l’appareil lenticulaire et les mettent en pièces en s’y brisant les ailes. Tantôt le vent, animé d’un souille égal et persistant, met en branle cette immense tige de pierre et l’infléchit tour à tour dans chaque sens, comme la verge vibrante d’un métronome gigantesque. La tour oscille de droite à gauche, de gauche à droite, et retient sans secousse à sa position première. Ce balancement est quelquefois assez fort, dit-on, pour faire déverser l’huile contenue dans les vases et faire éprouver à certaines personnes le même malaise que sur le pont d’un navire. Néanmoins la maçonnerie de l’édifice n’en semble éprouver aucun effet nuisible ; mais quelle stabilité ne faut-il pas pour résister à de telles épreuves ? Au reste, en voyant ces monumens sveltes et élancés, de forme circulaire, carrée ou octogonale, qui se dressent en l’air avec de belles lignes régulières ; en examinant les puissantes assises qui leur servent de base, l’heureuse harmonie des proportions, l’épaisseur des murailles et l’exiguïté des petites fenêtres qui en éclairent l’intérieur, si peu que l’on soit expert en travaux d’architecture, on a le sentiment instinctif que toutes les conditions d’une stabilité parfaite y sont réunies et qu’ils dureront des siècles malgré les causes multiples de destruction auxquelles ils sont exposés. Par malheur, certains d’entre eux ont été bâtis sur le bord de falaises escarpées dont les vagues et les alternatives des saisons enlèvent chaque année quelques parcelles. C’est ainsi que le cap de l’Ailly, sur lequel s’élève l’un des phares de la côte de Normandie, a déjà été rongé à moitié par la mer depuis la construction de l’édifice qui le surmonte. A moins que les débris accumulés au pied de l’escarpement n’arrêtent l’action destructive des flots, un jour viendra où la tour devra être démolie et transportée plus loin, si l’on ne veut qu’elle s’abîme dans l’Océan avec le sol qui la supporte.

De toutes les tours consacrées à l’éclairage des côtes de France, il n’en est aucune de comparable à celle de Cordouan[1], qui a été édifiée vers la fin du XVIe siècle, à l’embouchure de la Gironde, sur un rocher que la haute mer recouvre de 3 mètres d’eau. À cette époque les phares étaient des monumens d’une rareté exceptionnelle. L’architecte, Louis de Foix, qui construisit celui-ci, y déploya un luxe d’ornementation dont les édifices plus simples de notre temps ne peuvent donner qu’une idée imparfaite. La tour n’avait

  1. Voyez, au sujet du phare de Cordouan, la remarquable étude de M. Elisée Reclus sur le littoral de la France, — L’Embouchure de la Gironde et la péninsule de Grave, — Revue du 15 décembre 1862.