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président de Bordeaux, qui était un personnage tout d’une pièce[1] et portait dans son langage la raideur grave du magistrat, prenant le premier la parole, lui dit que, conformément à un article de la ligue conclue entre sa sainteté le pape, le roi son maître et les seigneurs vénitiens, il priait et sommait sa majesté[2], par le commandement du roi très chrétien, que son plaisir fût, laissant toute dissimulation de côté et ne songeant qu’au bien commun de la chrétienté, de conclure une bonne paix avec lui et de lui rendre ses enfans en touchant pour leur rançon une forte somme de deniers, qu’il raffermirait ainsi le lien de leur amitié, et que, recevant de lui un tel bienfait, le roi de France ne l’oublierait jamais. Il ajouta que les confédérés, dans cette sainte ligue, conclue pour le bien universel, lui adressaient la même requête. Le nonce Balthasar Castiglione, avec plus de discrétion et en peu de mots, lui demanda la même chose.

L’empereur contint un moment la colère qu’il ressentait et qu’avait surtout allumée le mot de sommé[3], dont venait de se servir l’ambassadeur Jean de Calvimont. Il répondit tout d’abord au nonce : « Qu’il avait toujours été très disposé à la paix universelle, que ce n’était pas pour une autre cause qu’il avait délivré le roi très chrétien ; qu’il ne jugeait pas convenable d’entrer dans cette ligue, parce que faite, en apparence sous la couleur du bien public, elle l’était en réalité contre lui. « Il ajouta » que sa sainteté lui avait adressé un bref où lui étaient attribués des torts et imputés des blâmes à son avis sans fondement, qu’il lui serait aisé de s’en disculper, et qu’il souhaitait pour cela un concile général dans lequel on les discuterait et qui en serait juge. Trouvé coupable, il se soumettrait à la raison. Sa sainteté voulait-elle l’accepter pour fils, il serait un fils aussi bon, aussi humble, aussi obéissant que pape en eut jamais. Voulait-on sincèrement une paix universelle, il en établirait les conditions de façon à faire voir clairement à chacun qu’il était plus disposé à donner du sien qu’à prendre de celui d’autrui. » Il finit en disant : — « Mais rendre au roi de France ses enfans est hors de propos… Je suis comme la monture de Balaam : plus on l’éperonnait pour la pousser en avant, plus elle se rejetait en arrière[4]. »

  1. « Che certo questo Francese e an terribil uomo. » Lettre du nonce Castiglione à l’archevêque de Capoue, écrite de Grenade le 8 septembre 1526 ; t. II, p. 69.
  2. « … E pregasse e assummasse S. Maestá che per beno de Christiani, lascoate le simulta fosse contenta di far una buona pace seco, e rendergli i flgliuoli, pagando honesta somma di denari per riscatto di essi, etc.. » Ibid., p. 76.
  3. « À laquai voce assumar dicono ch’é in Francese molto brava et insolente… dispiacque molto a cesare. » — Navagero, dépêche du 8 sept. 1526, p. 192.
  4. « … Che esso era come il cavallo di Balaam, che quanto più se gli davano spronante, tanto più si tirava in dietro. » Castiglione, p. 77.