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bien avant qu’ils donnent les plus grands produits soit en matière, soit en argent. Les particuliers peuvent à la rigueur produire des bois de feu, mais ils n’ont jamais intérêt à laisser leurs arbres sur pied assez longtemps pour qu’ils deviennent propres aux constructions et à l’industrie. Le prix des bois n’y fait rien, puisque si ce prix s’élève, le capital engagé s’élève lui-même et avec lui le désir de la part du propriétaire de le réaliser promptement. Quand le bois est à bon marché, un particulier a intérêt à défricher ses forêts pour lui substituer une culture plus productive ; quand il est cher, il est poussé à les couper pour réaliser le capital qu’elles représentent. En supposant même qu’il résiste à l’appât d’un bénéfice certain, ses héritiers ne l’imiteront pas, et sa forêt, divisée, morcelée, sera bientôt défrichée, à moins que le sol, impropre à la culture, ne se couvre de maigres broussailles auxquelles par habitude on conservera le nom de bois. C’est le cas de la plus grande partie des forêts particulières, qui ne produisent pas en moyenne plus de 3 stères par hectare, tandis que celles de l’état en donnent 5 et pourraient en donner 10, si le régime de la futaie leur était généralement appliqué. Ce régime est de beaucoup le plus productif, mais il ne convient qu’à des propriétaires immuables comme l’état ou les communes, qui peuvent attendre un siècle et plus que les arbres aient acquis toute leur valeur avant de les faire abattre.

On répond, il est vrai, que le bois devient de moins en moins nécessaire, que le fer remplace avantageusement la charpente et la houille le bois de feu. On a été jusqu’à dire[1] que la privation de bois serait avantageuse aux populations, parce qu’elle les forcerait à renoncer à d’anciennes habitudes et à brûler de la houille. Dans les départemens des Alpes, cette privation n’a eu jusqu’ici d’autre effet que de dépeupler le pays et de forcer ceux qui y restent à se chauffer avec de la bouse de vache séchée au soleil. Pour être juste, il faut dire que la houille depuis longtemps déjà est employée au chauffage, que le fer est utilisé sous toutes ses formes dans les constructions et ailleurs, et que cependant le prix du bois de feu a doublé et celui du bois d’œuvre triplé de valeur depuis trente ans. Ce qui prouve encore que les produits ligneux ne sont pas près d’être supplantés par les autres, c’est le prodigieux accroissement de nos importations de bois communs. En 1847, elles étaient de 43 millions ; en 1863, elles se sont élevées à 133 millions :

  1. Voyez une lettre écrite au préfet du Haut-Rhin le 15 juin 1864 par M. Jean Dollfus pour demander le défrichement de la forêt de la Harth.