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Ceux qui ne se paient pas de mots savent bien que le plus souvent une forêt vendue est une forêt détruite, et que ce n’est pas pour la conserver intacte et l’exploiter en père de famille qu’il se rencontre des acquéreurs. Que deviennent alors les populations qui y trouvent leur travail, les industries locales qui en vivent, le sol lui-même, trop souvent impropre à toute autre culture ? car la plupart des forêts, même celles de plaine, reposent sur un sol trop maigre et trop peu substantiel pour être utilement livré à la charrue. La Sologne, les Landes, qu’on reboise aujourd’hui pour en tirer parti, offrent un frappant exemple des conséquences des défrichemens inconsidérés et forment un éloquent commentaire au vote par lequel le conseil-général du Loiret essayait autant qu’il était en lui de sauver les forêts d’Orléans et de Montargis, dont 30,000 hectares étaient menacés par le projet de loi. Ce qui manque à l’agriculture, ce ne sont pas les terres, ce sont les bras et les capitaux, attirés vers les villes par les travaux qu’on entreprend de toutes parts, et ce n’est pas en rainant le sol, en déplaçant les industries locales, en enlevant leur travail aux populations rurales qu’on réagira contre une tendance dont tout le monde se plaint.

Nous venons de réfuter les argumens financiers par lesquels on cherche à justifier aux yeux du pays l’utilité des aliénations ; il faut maintenant développer ceux qui à nos yeux font à l’état une nécessité de conserver intact son domaine forestier, et même d’en accroître l’étendue dans beaucoup de cas. Vouloir que l’état vende ses forêts, c’est supposer qu’entre les mains des particuliers elles peuvent rendre à la société les mêmes services, c’est admettre que ces services ne sont soumis qu’aux lois ordinaires de l’offre et de la demande, et que par conséquent les fonctions de propriétaire et d’administrateur de forêts ne rentrent pas absolument dans les attributions de l’état.

Pour bien montrer en quoi consiste l’erreur de cette théorie, examinons sommairement quel est le rôle des forêts dans le monde. Les forêts rendent deux espèces de services : des services directs par les produits matériels qu’elles fournissent et des services indirects résultant de l’action qu’elles exercent sur le climat, le régime des eaux, etc. — La matière ligneuse est absolument indispensable à l’homme. Partout où elle abonde, celui-ci trouve une existence assurée ; quand elle vient à faire défaut, il meurt ou il émigré. C’est aux forêts dont elle est couverte que l’Amérique du Nord doit une bonne part de son prodigieux développement ; c’est par le déboisement surtout que s’explique l’aspect désolé de certaines régions de l’Afrique stériles et dépeuplées. Cette matière ligneuse, qui pourvoit à nos besoins sous tant de formes diverses, qui nous fournit la bûche qui pétille dans Pâtre, la poutre du toit qui nous abrite, le