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5 pour 100, qui serait bien plus élevé encore, si l’on tenait compte des transformations qu’on fera subir à ces propriétés. Si une vente isolée donne de pareils résultats, que peut-on attendre d’une aliénation entreprise sur une grande échelle, comme celle qu’on se proposait de faire ? Le scandale des bénéfices réalisée par les acquéreurs des bois domaniaux vendus en vertu de la loi de 1831 est encore assez présent à toutes les mémoires pour nous mettre en garde contre le retour de pareils faits. Et cependant il est impossible qu’il en soit autrement, car les capitalistes ne se décident à acheter des bois que pour faire une bonne affaire, et quand ils n’y trouvent pas leur compte, ils s’abstiennent. Il faut être bien optimiste pour s’imaginer, avec M. le ministre des finances, qu’il se trouvera des gens qui consentiront, par bonté d’âme, à payer fort cher des propriétés qui, suivant lui, ne rapportent presque rien.

Ainsi le revenu des forêts, comparé au capital que l’état pourra en retirer en les vendant, est assez élevé pour que, même au point de vue financier, l’opération proposée ne présente aucun avantage. Peut-on espérer une compensation par les impôts et les droits de mutation que les forêts vendues rapportent au trésor ? Nous ne le pensons pas, car quiconque veut acheter une propriété commence par déduire du revenu brut annuel les impôts, les frais de garde et les charges de toute nature, et c’est sur le revenu net ainsi obtenu qu’il règle son évaluation. Les impôts que l’état percevra ultérieurement sont donc prélevés sur le capital d’acquisition et ne sauraient devenir une source de bénéfices.

On a dit qu’il ne s’agissait de vendre que des portions isolées d’une garde difficile et d’un produit à peu près nul. C’est là un lieu commun qui date de la révolution, et l’argument n’a pas gagné en vieillissant, puisqu’on a vendu depuis lors 355,000 hectares qui ont toujours été présentés comme formés de parcelles isolées. Ce qui prouve d’ailleurs qu’on est bien forcé de s’attaquer aux grandes masses, c’est que sur le tableau des forêts à vendre pour les travaux publics on voyait figurer la forêt d’Orléans pour 30,000 hectares, celle de la Harth, dans le Haut-Rhin, pour 14,000, celle de Cerisy pour 2,200, et une foule d’autres qui, bien que d’une contenance moindre, forment par elles-mêmes ou constituent, par leur réunion avec d’autres, des massifs très importans. Prétendre, comme on l’a fait, que ces aliénations ont pour objet de donner à l’agriculture les terrains dont elle a besoin, et de permettre aux populations de se développer, c’est un lieu commun qui ne supporte pas l’examen en présence de 7 millions d’hectares de friches qui déshonorent notre pays. Les populations d’ailleurs ne s’y sont pas trompées puisqu’un grand nombre de conseils-généraux se sont énergiquement prononcés contre le projet du gouvernement.