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noms qui soient connus hors de l’Angleterre, et n’exercent aucune influence qui soit propre à leur situation.

Avec les mœurs qui la dominent, avec les lois qui la régissent, avec le personnel qui la compose, la nouvelle chambre des communes, on peut le dire hardiment, offre de plus grandes garanties de lumières, d’indépendance et de désintéressement qu’aucune assemblée élective qui soit au monde, et avec la majorité qu’elle donne au parti libéral il semblerait, à première vue, qu’elle promet de rendre au ministère whig le gouvernement facile. Ce serait peut-être cependant se tromper que de le croire. Si certaine que soit la majorité, il faut néanmoins tenir grand compte de cette circonstance, qu’un quart de la représentation nouvelle se compose de membres nouveaux et par conséquent trop peu faits à ces habitudes de discipline qui sont indispensables à la pratique du gouvernement parlementaire, trop disposés au contraire, comme tous les nouveau-venus, à se prévaloir de leur indépendance personnelle, sans se douter des suites que peut souvent avoir, pour jeter le trouble dans tous les partis, un vote rendu sur une question qui semblait presque indifférente. Pour former tant de nouvelles recrues, quels que soient d’ailleurs les mérites et les talens qui les distinguent, ce n’eût point été trop de la sagacité de lord Palmerston, de l’autorité que lui valaient ses longs services, et de la singulière popularité qui s’attachait à son nom. Non, rien de tout cela n’eût été de trop, car le ministère, déjà vieux de six ans, avait, depuis sa formation, fait des pertes qu’il lui avait été impossible de remplacer par des équivalens : sir G. Cornwall Lewis, lord Herbert Lea, le duc de Newcastle, lord Westbury. Cette difficulté devait être la principale préoccupation de lord Palmerston, lorsque la mort est venue, en le frappant à son tour, priver le ministère de son chef et de son plus solide appui.

Or le personnage que la force des circonstances a nécessairement appelé à prendre la succession de lord Palmerston n’est peut-être pas le plus capable de faire face aux délicatesses de la situation présente. Le comte Russell n’est pas l’homme des compromis et des transactions, celui qui sait tenir compte des personnes et surtout de l’opportunité. C’est, comme nous disons familièrement, un esprit tout d’une pièce, qui va jusqu’au bout de ses convictions et de ses principes, sans s’inquiéter de l’heure, ni du jour, ni à plus forte raison des conséquences et du lendemain. Ce qu’il croit être juste et bon, vrai et utile, il l’entreprend toujours, quels que soient les hommes qu’il ait devant lui, et quelle que soit la somme de ses forces par rapport aux obstacles qu’il veut surmonter. Aristocrate né, il apporte dans la politique un désintéressement qu’aide à