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bénéfice du temps, a fait la fortune de beaucoup de familles, des ducs de Bedford, des marquis de Westminster et de tant d’autres. Il en est de même dans la plupart des villes, et non-seulement dans les villes, mais dans les villages de leurs banlieues. C’est la situation légale du plus grand nombre peut-être de ces villas, de ces cottages, où les bourgeois, les marchands, les industriels, les employés, obligés par leur profession à vivre dans le voisinage des grands centres du commerce et des affaires, aiment à retirer leurs familles loin de la fumée des usines et du fracas de la cité. De même aussi, dans la propriété rurale, rien n’est plus ordinaire que les baux d’une durée de trente, de cinquante ans, et de plus encore, qui ont contribué pour une si grande part à l’avancement de l’agriculture anglaise, et que les mœurs interdisent de ne pas renouveler à moins de motifs graves, de sorte qu’il n’est pas rare de rencontrer sur beaucoup de domaines des familles de fermiers qui les exploitent depuis des siècles, qui sont venues s’y établir avec les aïeux des détenteurs du fonds, quelquefois avant, et qui y sont devenues aussi riches que les propriétaires, souvent même plus. Toutes ces familles ne se considèrent-elles pas, elles aussi, par la jouissance séculaire et par les liens qu’elle ne peut manquer de créer, comme associées à la propriété ? Est-il autre chose que la confiance dans la perpétuité de la propriété qui puisse engendrer de pareils usages, et si cette perpétuité entraînait des conséquences humiliantes ou oppressives pour la masse de ceux qui ne possèdent pas, est-il croyable que le droit de propriété n’eût pas subi en Angleterre les restrictions et même les atteintes qui l’ont frappé dans d’autres pays ?

Mais la propriété anglaise n’a pas que la vertu négative de ne soulever aucunes passions contre elle, elle a aussi des vertus positives ; elle n’est pas seulement acceptée comme une nécessité sociale, elle est encore respectée pour les services qu’elle rend. L’Angleterre, on ne saurait trop le répéter, est un pays qui ne connaît pas le joug de la centralisation. Comtés et villes, bourgs et paroisses ne souffrent l’intervention du pouvoir royal dans leurs affaires particulières que tout juste assez pour les rattacher à l’ensemble de la société. Quant au reste, ils se chargent d’y pourvoir eux-mêmes, et pour leur réserver toujours la haute main dans l’administration de leurs affaires, la loi leur attribue presque toutes les nominations de leurs magistrats, aux fonctions presque toujours gratuites, au mandat presque toujours renouvelable par l’élection après une certaine durée. C’est très bien ; mais il ne suffit pas que la loi crée des électeurs investis de pareils droits, il faut encore qu’il se présente des candidats pour occuper ces situations purement