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ministère, Cependant les élections de 1865 ont donné un démenti à cette prévision, et les événemens qui depuis se sont encore accomplis viennent prouver chaque jour que, si l’Irlande continue à récriminer contre la situation qui lui est faite, elle n’en reconnaît pas moins que depuis trente ans et plus le gouvernement libéral de l’Angleterre ne lui a fourni aucun sujet de griefs nouveaux, et que bien loin de là il cherche à faire disparaître ceux qu’ont légués les âges antérieurs. De fait, l’Irlande n’a jamais été aussi bien disposée à s’entendre avec l’Angleterre, et le procès intenté aux fenians en a fourni une preuve éclatante. Sans recourir d’abord à aucune juridiction exceptionnelle, les fenians ont pu être jugés par la justice ordinaire et condamnés par des jurys irlandais. Il y a trente ans, pareille chose eût été tout simplement impossible, et peut-être l’eût-elle été encore en 1865, si le pouvoir se fût trouvé aux mains des tories. D’ailleurs les mœurs non moins que les lois font en Angleterre aussi bien qu’en Irlande des progrès considérables dans la voie de la réconciliation, et à Londres même on en vit un exemple manifeste lors de la mort du cardinal Wiseman, arrivée au mois de février 1865. On se rappelle sans doute l’émotion violente qui s’était emparée de l’Angleterre lorsque la cour de Rome institua dans le royaume-uni des diocèses à titre anglais, les démonstrations hostiles et menaçantes de la population, les lois dignes d’un autre âge qui furent alors rendues en parlement (mais qui ne furent jamais exécutées), la vive colère qu’inspirait aux anglicans une institution qui semblait vouloir les retrancher du monde catholique, auquel ils veulent toujours appartenir, — enfin ce titre d’archevêque de Westminster, qui paraissait choisi tout exprès pour aigrir encore la blessure. Eh bien ! lorsque survint la mort du cardinal Wiseman, il put être enseveli avec toute la pompe que comporte le cérémonial de l’église romaine. Le cortège funèbre, que les fidèles s’étaient attachés à rendre aussi imposant qu’il était possible, put parcourir un long trajet dans les rues de Londres avec ses bannières, ses costumes et tous les signes extérieurs du culte, sans rien rencontrer sur son passage que des témoignages de respect, sans qu’aucun journal de quelque crédit se permît une observation blessante pour les sentimens des catholiques. Il en fut de même lors de l’intronisation du nouvel archevêque de Westminster, qui se fit aussi avec le plus grand déploiement de pompe, et cependant le docteur Manning, qui a succédé au cardinal Wiseman, est lui-même dans une position qui devait éveiller des émotions pénibles dans l’esprit des anglicans, car, avant d’entrer dans les ordres catholiques, il avait appartenu au clergé de l’église établie, il avait été doyen de Chichester, il avait joué un rôle considérable